Magazine Journal intime

Mawashi geri

Publié le 20 août 2008 par Audine

Il était un peu trop rond, du coup, un mélange de son prénom et de son nom le faisait surnommer Bouluc par les autres. L’enfer c’est les autres.

Il avait l’air d’un tyran de 8 ans tel que sa mère me l’avait décrit. Dans un grand bureau d’un haut poste qu’elle avait, et moqueuse, j’avais jeté « pas grave, je fais du karaté », et aussi sec, ça l’avait décidée.

Vingt heures par semaine, c’est toujours ça à prendre pour les vacances et le cinoche et les omelettes au fromage en bas de la fac, quartier chinois.

J’allais donc l’attendre à la sortie de l’Ecole Alsacienne. Lui il ne croyait pas que je faisais du karaté, parce que je portais des sabots.

La question a été assez vite réglée, un jour dans l’entrée de l’immense appartement, pas content, il a balancé sur moi son cartable, que je lui ai renvoyé. Choqué il était, parce que quand même, ce manque de respect pour ses affaires.

Mais ça avait du prouver.

Il était assez inquiet de ma cuisine, faut dire que les mômes ça n’était pas mon truc et la cuisine non plus. Alors il me disait « les côtes de porc ça se fait cuire 20 minutes ». Bouluc Boud’chou.

J’avais comme référence trois mois au pair, Leigh on Sea, une gamine de 5 ans qui montait sur les meubles pour des démonstrations de danse, un gamin de 9 ans somnambule qui débarquait dans sa chambre où je dormais la nuit pour récupérer son lit, un autre de 11 ans, scientifique, qui faisait des expériences sur des rats, dans le garage, ce qui excitait considérablement une énorme labrador infestée de puces qu’elle me refilait généreusement.

J’avais survécu alors hein, Bouluc.

On avait pris nos habitudes : je lui lisais Tintin et il s’endormait contre moi. Quand je m’écroulais, il marchait sur la pointe des pieds pour ne pas me réveiller.

En sortant de l’Ecole Alsacienne, on allait en face, un bout de Jardin du Luxembourg. Je bouquinais et lui faisait je ne sais quoi. Un jour il a mis le feu à un buisson.

Il y a eu conférence familiale – une rare occasion de voir le père – et aussi, un entretien à l’Ecole Alsacienne, et j’ai été conviée aux deux. Pré délinquant le Bouluc.

En fait, un gamin qui grandissait avec moi.

L’année est passée et à la fin, la mère a accouché d’une petite fille. J’étais sidérée, parce que mon fils cet inconnu quand même.

Je suis allée la voir à la clinique, c’était laid un nourrisson. Elle comptait sur moi pour garder les deux. J’étais tiède. Je lui ai demandé une augmentation d’un franc de l’heure, dix francs, le smic, ça me semblait un principe à respecter.

Ils ont tous trouvé ça très choquant, de profiter de sa faiblesse pour extorquer.

Tant pis.

Je n’ai plus jamais revu Bouluc.

Et parfois, surtout quand je fais des côtes de porc, il me manque.

(Publié décembre 2006 – forum Télérama)


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