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Comme une bouteille à la mer

Publié le 01 septembre 2008 par Jlk

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Lettres par-dessus les murs (53)
Ramallah, lundi 1er septembre 2008.
Cher JLK,
Ceci est une lettre importante, je la soigne, c'est peut-être la dernière. J'oublie l'en-tête, comme toujours : Ramallah, Palestine, le 1er septembre, 18h49. Mais c'est justement dans l'en-tête que commence le problème. Ramallah, j'en suis sûr, ça n'a pas changé. Mais Palestine ? Pas la Palestine historique, sans doute. Etat Palestinien ? Niet. Autorité Palestinienne : un peu lourd, et quelle autorité ?
Appellation officielle onusienne : Territoires Palestiniens Occupés. Ca colle, mais c'est encore plus lourd. En Israël, on dit juste Territoires, ça évite les Palestiniens, qui sont ces gens, et ça évite surtout Occupés. Dans les formulaires, à l'aéroport, on écrit tout simplement Ramallah, Israël. Mais c'est un peu comme écrire Lausanne, France (entends-tu l'exclamation outrée des Lausannois, depuis ta terrasse ?).
Bon, je mets juste Ramallah alors, Ramallah, 1er septembre. Mais l'heure ? C'est plus embêtant. 6:58, dit l'ordinateur, mais l'ordinateur semble avoir oublié le changement d'heure. Y a-t-il eu changement d'heure ? La rumeur courrait, je sais que dans la Bande de Gaza, ils sont tous un peu plus jeunes, il est 18h et des brouettes là-bas, le Hamas a changé d'heure depuis une semaine. A Jérusalem, à quinze kilomètres d'ici, il est 19h passé. Mais ici ? Impossible de savoir, on a passé des coups de fil ce matin, personne n'est vraiment sûr.Voilà donc une lettre tout droit issue d'un abîme spatio-temporel,d'une zone floue, d'un trou noir. S'il se passait, aujourd'hui, ici, quelque événement majeur, genre 11 Septembre, il tomberait dans les oubliettes de l'Histoire, fautes de coordonnées précises. Or il s'est passé quelque chose. J'ai eu l'imprudence de sortir, au coucher du soleil, pour imprimer mon roman, une dernière relecture. J'ai fait quelques pas, avant de me rendre compte. Magasins clos, cafés fermés. Personne dans la rue. Pas une voiture. Le trou noir s'est refermé sur Ramallah, le gouffre spatio-temporel a englouti la ville. J'ai regagné mes pénates dare-dare, de peur de connaître le sort des autres habitants. Happés par le vide. A moins qu'ils n'aient eu le temps de se réfugier dans leurs foyers, tous ensemble, dans un grand mouvement de panique. Ma douce ne répond pas au téléphone. Internet ne marche pas. Je m'accroche maintenant à mon ordinateur, aux certitudes qui m'entourent, aux murs de la maison, à cette lettre, une bouteille à la mer, j'espère qu'elle gagnera la Désirade, un jour. Encore quelques heures à tenir, essayer de passer la nuit… Si jamais j'étais moi aussi absorbé dans une dimension parallèle, sache que – Dans le silence parfait du temps arrêté, dans l'éternité du crépuscule, soudain s'est élevée la voix d'un muezzin, solitaire, chaleureuse, rassurante. Il marque la rupture du jeûne... Je corrige
l'en-tête : Ramallah, 1er jour du Ramadan, à l'heure de l'Iftar. Pour le pays, on ne sait toujours pas.
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La Désirade, 1er septembre, soir.
Cher Pascal,
Ta lettre m’a angoissé. J’essaie de t’imaginer là-bas, dans cette nuit tissée d’incertitude, après l’insouciance de votre traversée de l’été pleine d’amis et d’allégresse, retour au poids du monde.
Ta dernière lettre ? Qui sait ? Je ne prends pas ton sentiment à la légère. L’arrivée de l’automne est d’ailleurs véhicule de ces afflux de mélancolie que la folie des hommes exacerbe à certains moments ou en certains lieux. Et puis c’est la vie : je pense sans discontinuer, ces jours, à Georges Haldas dont mes amis me disent qu’il va très mal, aveugle, fatigué de cet affreux monde dont il a chanté les « minutes heureuses », tout près de cette dernière Heure énigmatique qu’il interrogeait sans relâche dans ses derniers livres, dont ce Paysan du ciel que je suis justement en train de lire et d’annoter.
Je l’ouvre au hasard et je lis : « Il y a tellement de souffrances dans le monde, qu’on ne sait plus comment prier. A part ça, festival de merles ce matin pour nous rappelere au mystère intégral de cette vie dans ses moindres manifestations. Un bonheur qui est à lui seul une prières ».
Et ceci : « Si le possible n’est pas tissé d’impossible, il n’existe pas ».
Ou ceci : « Sous les propos sacracstiques, ravageants mêm, garder un cœur tendre. Sans faire à bon compte état de celui-ci. En un mot, tromper la monde en bien, sans qu’il le sache ».
Ou ceci encore : « Puisse le mal qu’on a fait éclairer le ciel des autres ».
Ou ceci encore, le 1er avril 1999, il a 82 ans : « Envoie de dire: mon corps terrestre s’effrite. Mon corps intime prospère ».
Ou cela encore : « Rien de plus fertile que l’émerveillement et la gratitude. Malheur à qui n’est pas capable de les éprouver ».
Ou cela : « Pour écrire des paroles de feu –le feu de la vérité – il faut être calciné soi-même. Or, nous n’écrivons le plus souvent – et moi le premier - qu’avec de l’eau tiède dans les veines ».
Et il y en a, comme ça, des pages et des pages, et pour chaque année. C’est une source inaltérable que l’œuvre de Georges Haldas, qui s’abreuve lui-même quotidiennement à ce qu’il appelle la Source.
Ta lettre m’a rappelé ce qui finira cette nuit peut-être, peut-être ne recevras-tu jamais cette lettre ? Peut-être devrais-je, demain, tenter de dire ce que fut la vie et l’œuvre de Georges Haldas après m’en être détourné des années durant pour les petits motifs de nos petites vies ?
J’espère, mon grand, d’autres lettres de Ramallah. J’espère que ton noir sentiment n’est que passager, et que le ciel s’éclaircira demain sur la Palestine. Je pense à toi et à ta douce, je pense à Georges Haldas, qui va nous quitter,  et à ses livres qui lui survivront.
Georges Haldas ce soir : « Notre vie n’est que l’ébauche d’une trajectoire dont nous ignorons tout »…


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