Magazine Journal intime

Trois jours sans plats préparés et sans montre

Publié le 04 septembre 2008 par Anaïs Valente

Day 1
Dimanche.  Midi.  Plein soleil.  Je glande sur un transat.  Soudain, odeur de barbecue.  Les barbecues devraient être interdits, ça démoralise les célibataires qui n'ont dans leur frigo qu'un vieux reste de pâtes poilues.
Voilà, le mal est fait, j'ai envie d'un barbecue.  Je prends mon courage à deux mains, soulève ma vieille carcasse rouillée, et décide de lancer, dès 13 heures, les trois jours sans plats préparés ni montre.  J'enlève illico ma montre, j'arrête le mécanisme, histoire de ne pas la remettre par réflexe (et d'économiser trois jours de pile - radine, moi, meuh non !)
Je file ensuite faire des courses pour un repas fait maison : saucisse, salade, pommes de terre.  Oui, bon, rien de super relevé.  Mais ce n'est pas un plat préparé, qu'on se le dise.
De retour chez moi, je lance les saucisses et les pommes de terre dans une poêle, et je tente de faire cuire le tout.  Dingue comme ça "spite", des saucisses de campagne, ma bonne Dame.  Y'en a plein ma cuisine, que je vais devoir laver, alors qu'elle est nickel depuis sept ans, puisqu'elle n'a jamais bossé depuis mon arrivée dans les lieux.  Et n'a dès lors jamais été nettoyée non plus, tant qu'à faire.  J'exagère, elle a l'habitude des odeurs de lasagnes et de pâtes.  De pizzas aussi.  
Qu'on m'envoie une ambulance d'urgence, j'ai les avant-bras carbonisés par les explosions de graisse de saucisses.  Mon Dieu que c'est gras, une saucisse.
Pendant ce temps, je lave la salade.  Passque j'ai pris une vraie salade.  Pas de la salade en plastique que l'on achète dans un sachet.  J'épluche ma tomate, avec mon nouvel éplucheur tupperware spécial tomates acheté pour l'équivalent d'un demi-mois de salaire, chez Moustique (elle ne perd rien pour attendre), et j'arrose le tout de vinaigrette.  En bocal.  J'avoue.  Je n'allais pas acheter huile et vinaigre pour trois jours, faut pas pousser bobonne.
Quelques minutes plus tard, mon festin est prêt.  Et c'est bon.  Vraiment bon.  Chuis contente.  Je digère ensuite paisiblement sur ma terrasse, en feuilletant quelques Flair datant des vacances, non encore disséqués.  Le temps se gâte, il fait orageux et lourd.  Je décide de rentrer.  Histoire de bosser un peu, aussi.  Il doit être dans les 14 heures, j'imagine.
Je m'approche de mon PC, le réveille, et constate avec horreur intense qu'il est 15h59.  Je n'ai décidément aucune notion du temps.
La journée se passe, et je survis sans trop de problème, malgré mon poignet, marqué par une grosse trace blanche, sur laquelle je ne puis plus connaître l'heure.
Dans la soirée, je file me coucher.  Une fois au lit, je regarde mon réveil et réalise qu'il est encore tôt.  Fait noir si tôt d'habitude ?  Ah ben oui, on va vers l'automne alleye une fois.  Je bouquine jusqu'à ce que le sommeil prenne possession de ma cervelle.
Day 2
Le réveil sonne à 6h20.  Boulot oblige.  Dans la salle de bains, c'est le drame.  Je n'ai pas l'heure.  Fort heureusement, le journal de 6h30 rythme ma douche.  Ensuite, je surveille l'arrivée de l'horoscope, qui survient toujours vers 6h50, histoire de gérer mon horaire et de ne pas louper mon bus.  Mon regard part tout le temps vers l'évier, à la recherche de ma montre, qui s'y trouve toujours, d'habitude.  Autre réflexe, je regarde sans cesse mon poignet, désespérément nu.  L'horreur.  J'ai tellement peur de ne pas gérer mon temps que je me retrouve à l'arrêt de bus bien trop tôt.  Je n'ai même pas entendu l'horoscope, ayant sans doute quitté la salle de bains avant.  Ce fut la phase "préparation du matin" la plus rapide de ma vie.  A l'arrêt du bus, je tente quelques fois de découvrir l'heure, puis j'abandonne la lutte.  Et je me sens d'un coup plus sereine.  Perdue, cette sale habitude de regarder l'heure toutes les trente secondes, en attendant désespérément le bus.  J'arrive au bureau.  La femme de ménage s'inquiète de mon arrivée si matinale, elle a peur d'être en retard.  Je veux la rassurer, sachant qu'il doit être l'heure habituelle, mais je ne puis, et pour cause, je n'ai pas accès à l'heure, sauf à sortir mon gsm, ce que je ne fais pas.  Je ne le ferai jamais, d'ailleurs.
Durant la journée, mon pc me donne gentiment l'heure.  Pas de gros problème.  A midi, courses avec Mostek.  A la caisse, envie de connaître l'heure.  Drame international.  Je songe alors à mon ticket, qui me rassure : il est 13h09, nous avons du temps devant nous.
L'après-midi se passe.  Sans casse.  Je pars ensuite à la conquête de mon bus.  A l'arrêt, le bus n'arrive pas.  Je tiens le coup, sans regarder mon gsm.  Aucune idée de l'heure.  Après une longue attente, le voilà enfin.  Vais-je avoir ma correspondance ?  Je l'ignore.  Mais je réalise que, dans ce cas précis (savoir le retour à domicile avec les bouchons, les retards et les correspondances qui ne correspondent pas), ne pas connaître l'heure ne m'apaise pas, que du contraire.  Je n'arrête pas de me dire « mais bon Dieu, quelle heure esquilè donc ? » (avec l'accent, une fois).  
Bien sûr, je rate ma correspondance.  Il est cependant clair que ma montre n'y aurait rien changé.
De retour chez moi, sans doute épuisée par ce manque qui a peut-être des conséquences inconscientes, je monte directement au lit.  Il doit être 17h.  17h14, me confirme mon magnétoscope.  Je m'endors.  Même pas honte.  A mon réveil, je descends faire mon énoooorme vaisselle (tiens, ce bol date de la visite de ma filleule, il y aura un mois demain, là j'ai vraiment honte).  Bosser un peu me déculpabilise.  Mais quelle heure est-il, ne vais-je pas louper Cold Case ?  Mon micro-ondes, fidèle compagnon, me rassure : 19h43.  Je réchauffe une saucisse de la veille, me fais une petite salade, et dévore ce frugal repas.  Pas de plat préparé, mais pas de réel effort non plus.  J'ai honte, mais je suis naze.  Trop naze même pour casser un œuf dans une poêle.  Bosser, c'est tuant, je vous le dis.  Me faudrait un traiteur à domicile, tiens.
Day 3
Je commence à nettement mieux gérer mon temps.  Dès l'aube, je me précipite à la salle de bains, sans stress, et je parviens à me préparer sans trop traîner, mais sans angoisser.  Le rituel immuable du matin semble avoir réglé mon horloge interne, même si, sans montre, je suis nettement plus rapide.  Autre point positif : ne pas devoir enlever ma montre avant de filer sous la douche.  Comment ça, je suis fade de chez fade.  Ben oui, ça me saoule d'enlever ma montre, voilà tout.  
Par contre, je ne m'habitue pas à cette trace blanche à mon poignet, poignet que je passe mon temps à scruter, scruter et scruter encore, en vain.  Le réflexe est fortement conditionné : dès que l'on parle d'heure, ma main monte spontanément vers mes yeux, lesquels se désespèrent de ne rien comprendre.  Je sens sur moi des regards interrogateurs : elle fait quoi celle-là à regarder son « absence de montre » ?
La journée passe.  Ni plus lentement.  Ni plus rapidement.  Ce qui me prouve que regarder sans cesse l'heure ne la fait pas avancer plus vite.  Bien dommage.  Mais ne pas la regarder n'a aucune incidence non plus.  Dissertons un instant sur la valeur du temps, qui passe si vite le samedi et le dimanche et si lentement les autres jours.  Qui passe lentement durant les études, mais si vite une fois qu'on travaille.  Et qui pourtant est immuable.  Amen.
Vu mon état à la limite de la dépression, suite à ces considérations temporelles, et étant donné que la perspective d'une soirée à tenter encore de faire un repas potable sans mon pote bistro-dîner (oui bon, bistro dîner est mort, mais existe-t-il réellement meilleur représentant des plats préparés ?) ne m'enchante guère, et le mot est faible, Mostek a pitié de ma pauvre âme (et surtout de ma pauvre santé mentale défaillante), et me convie à un cours de cuisine en bonne et due forme dans son humble demeure.  Je reprends d'un coup d'un seul goût à la vie, étant donné ses talents culinaires incommensurables (nan, je ne passe pas la pommade, c'est la stricte vérité), j'oublie illico presto ma montre, ou plutôt mon absence de montre, et je me rue chez elle pour une soirée qui s'annonce gourmande...
Verdict de ces trois jours : connaître l'heure est une de mes passions.  Je n'en doutais pas, vu qu'à part ma salle-de-bains (mais je vais y remédier), toutes les pièces de mon domicile sont équipées d'horloges.  Me passer d'une montre n'a été supportable que parce que d'autres supports (le pc, le magnétoscope, le micro-ondes...) me fournissaient l'information.  Quant à l'interdiction des plats préparés totalement invivable, rien de surprenant non plus, je déteste autant cuisiner que j'adore manger.  Ce qui est, je le conçois, un tantinet problématique...  
Rien à faire, j'ai définitivement une horloge dans la cervelle... et un poil dans la main.
Demain, sur ces ondes (enfin, dans ces colonnes), la recette de Mostek, en exclusivité mondiale (et avec photo et tout et tout) !  Ne manquez pas ce rendez-vous extraordinaire, dès 6 heures comme d'hab.
PS : il est 20 heures et quelques (c'est la météo sur RTL, donc doit être près de 20h), soit 79 heures après le début de l'expérience, et je n'ai pas remis ma montre... pire (ou mieux), j'ai même prévu de me faire une omelette aux champignons frais, serais-je sur la voix de la sagesse et de la zenitude ?


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