Magazine Journal intime

Quartet

Publié le 08 septembre 2008 par Thywanek

J’avais écouté cela en direct, sur France Culture, en juillet 2007 : direct du Festival d’Avignon. Plein air dans la cours du … Palais des Papes : coquetterie suprême !
Lu, non pas jouée, mais simplement lu, par la Moreau – pardon, Mademoiselle Jeanne Moreau – et par Samy Frey.
Et puis j’ai fait, sur le site de Radio France, l’emplette de l’enregistrement qui fut tiré de ce grand moment de théâtre, pour une somme assez modique, et moyennant des procédures d’acheminement par service privé, dans le genre de ceux qui ne tarderont plus à nous faire regretter amèrement de n’avoir pas assez défendu certain service public de la Poste.
Bref.
Quartet : réécriture des « Liaisons Dangereuses », de Monsieur Choderlos de Laclos, éloignée de la belle écriture classique du livre, très éloigné des fastes magistraux du film de Stephan Frears, et de sa si brillante distribution, nous voici, rapidement, dés le début, dans le vif du sujet. Le vif. Les deux monstres, face à face, côte à côte : Merteuil et Valmont. Et le découpage à la lame brûlante de leurs relations viciées. Quartet, car tour à tour Valmont prend le rôle de Tourvelle tandis que la Marquise prend celui du Vicomte, avant de jouer celui de la jeune Volange.
Imaginons une de ses fabuleuses et chatoyantes tapisseries dont on couvrait jadis certaine salle de château, refaite au point de croix, bien sur, d’un fil noir et épais.
Un peu de cette aristocratie qui se couvrait de parfums pour dissimuler ses odeurs nauséabondes.
Ecriture sombre, magnifique, baroque et boueuse. Toutes les noirceurs que renferment ces deux personnages, noirceurs d’une époque, noirceurs d’une société dégénérée, toutes les vanités poisseuses de leurs désirs pervertis.
Morgue drolatique de Merteuil lorsqu’elle apostrophe le Vicomte après que celui-ci lui ait dit le nom de sa prochaine chasse : « La Tourvelle est une insulte ! Je ne vous ai pas remis en liberté pour que vous grimpiez sur cette vache, Valmont ! (…) Si encore c’était une putain, qui ait appris son métier ! Je la partagerais avec dix hommes ! Mais ! La seule dame de la haute société qui soit assez perverse pour se complaire dans le mariage. Une bigote aux genoux usés sur les prie-Dieu, aux doigts enflés à force de se tordre les mains devant son confesseur ! Ces mains-là n’agrippent pas d’appareil génital sans la bénédiction de l’Eglise, Valmont ! »
Prémonition du Vicomte : « Que la plèbe se saute entre deux portes, soit ! Son temps est précieux. Il nous coûte de l’argent. Notre métier sublime à nous, c’est de tuer le temps. Il faut nous y consacrer tout entier. Il y en a trop ! (…) Le temps est la faille de la Création. Toute l’humanité y a sa place. L’Eglise a comblé cette faille avec Dieu à l’attention de la plèbe. Nous, nous savons qu’elle est noire, et sans fond. Et quand la plèbe s’en avisera, elle nous jettera dedans ! »
Cynisme d’une chair, pure mécanique des calculs d’une jouissance animale.
Merteuil : « Qu’avez-vous appris, Valmont ? Si ce n’est à manœuvrer votre queue dans un trou en tout point semblable à celui dont vous êtes issu. Avec toujours le même résultat, plus ou moins divertissant. (…) Vous le savez bien : pour une femme, tout homme est un homme qui fait défaut. Et vous savez également ceci, Valmont : bien assez tôt, le destin vous enjoindra de n’être même plus cela : un homme qui fait défaut. »
Combat des morales vertueuses du vice et des morales vicieuses de la vertu.
Combat mortifère puisque les unes ne tiennent que par les autres et inversement. Démolition du monde jusqu’à l’anéantissement de la jeune Volange, jusqu’au sacrifice de la Présidente. Mais qui sauver, finalement. Derrière les deux horribles masques, les visages polymorphes qui se désagrègent. Les voix de la dissection des corps qui se décomposent en leurs affres éviscérés. Les plaies de la pourriture mises à nue. Ainsi qu’à la fin du livre de Laclos, fin que Frears a éludé : une fois connue publiquement, les lettres qui valent à la Marquise la réprobation générale et l’opprobre de chacun, puis le procès qu’elle perd contre des héritiers qu’elle a spoliés, ce qui cause sa ruine financière, et enfin la vérole qui la contamine, la défigure et lui coûte un œil, ce qui fait dire à je ne sais plus qui dans une lettre de Madame de Volange, que « Madame de Merteuil a désormais son âme sur son visage. »
Et comme des bêtes, à force de monstruosité, fatiguées d’elles-mêmes, le retour au cloaque.
Merteuil : Et si … nous nous entredévorions, Valmont. Pour en finir. Avant que vous ne soyez tout à fait infect.
Valmont : Trop tard, ma Reine. J’ai déjà consommé. J’ai le regret de vous dire que la Présidente est tombée.
Merteuil : Vous êtes une putain, Valmont.
Valmont : La putain attend sa punition, ma Reine.
Merteuil : L’amour de la putain mérite un châtiment.
Valmont : Je suis une ordure. Je veux … manger vos excréments.
Merteuil : Ordure pour ordure, je veux que vous me crachiez dessus.
Valmont : Je veux … que vous lâchiez votre eau sur moi.
Merteuil : Vos excréments …
Valmont : Prions pour que les enfers ne nous séparent pas.
Où l’on retrouve toujours un monde aujourd’hui persistant.
Je dirais le monde de l’impossibilité de la foi et de l’impossibilité de la non-foi. Le monde d’un miroir obsédant, d’autant plus obsédant que comme dit le Vicomte : « C’est toujours l’autre qui nous y regarde. » Ou Merteuil qui songe : « Quand je ferme les yeux, Valmont, vous êtes beau, ou bossu. Si je veux. Le privilège des aveugles. Ils ont en amour la meilleure part. La comédie des circonstances accessoires leur est épargnée. Ils voient ce qu’ils veulent ! L’idéal serait aveugle et sourd-muet : l’amour des pierres ! »
Le plus difficile avec des êtres comme ces deux là, le plus compliqué, ce serait de trouver à les plaindre. A quoi, du reste, cela servirait-il ? Disons, si ce n’est les plaindre, du moins les entreprendre de telle sorte qu’on puisse se soustraire à toute attirance pour leur bourbier, sans se payer pour cela de croire au miracle. Plus de fumier et plus de rédemption. Une nudité née de l’abandon des pudeurs suspectes et des puanteurs déguisées.
On comprendra que la lecture qu’en font Mademoiselle Moreau et Samy Frey n’est pas étrangère à l’effet produit qui est de saisir le texte comme une succession cohérente de propos carnassiers rehaussés de noblesse agonisante dans la glace qui la consume. Valmont dit que leur « métier sublime est de tuer le temps » ? Mieux dire serait que leur seule activité est de détruire : et comme le suicide n’est pas plus considéré que comme « le début de la masturbation », il ne peut être question que de se détruire en détruisant l’autre, les autres. Le vide jaloux de Dieu comme consolation pour être absout de leur vivant, quitte à s’en remettre pour la bonne société aux artifices de la religion du divin qui leur fait envie et dont l’absence en eux de l’immortalité les rapproche de façon insupportable de la plus basse condition, celle, quoiqu’il en soit, qui les destine comme la plèbe, à être mangés par les vers.
Puissance de la liquéfaction et doute que ce terreau jamais tout à fait mort ne nourrisse encore d’autres racines. Force du langage qui nous pousse à prendre part pour tenter de faire un tri définitif de toute morale en n’en conservant le moins possible. Assez pour ne pas désespérer complètement, et ne pas s’illusionner inconsidérément.

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