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Entretien d'embauche

Publié le 10 septembre 2008 par Mbbs

- Je suis désolée Mme Durnand, mais votre imagination et votre créativité ne sont pas assez présentes, cela n’ira pas pour le poste.

La petite femme se ratatine sur sa chaise, ses épaules se voutent, ses mains se crispent sur son sac, les phalanges blanchissent sous l’effort, ce poste elle le veut de toutes ses forces.

- Je pourrais quand même essayer ? Je peux m’améliorer, il suffirait que je sois aidée, juste un peu, un petit coup de pouce, vous voyez ?

La femme en face ne répond rien mais esquisse un sourire pincé. Elle remet une mèche de son chignon en place, lisse sa jupe et réajuste son col, prenant le temps de choisir ses mots.

- L’imagination, chère madame, ne s’apprend pas, tout au plus peut-on, telle la graine plantée dans une bonne terre, l’arroser, la couver, la chérir, la faire grandir et la faire…exploser ! La créativité, idem. Je ne vois pas en vous cette petite graine à arroser, je regrette.

- Mais je l’ai en moi, mes parents me disaient toujours que je vivais dans un monde à part, que j’étais toujours dans la lune, que j’étais loin de la réalité…mais bon à force de m’entendre dire que ce n’était pas bien pour mon avenir, j’ai choisi d’oublier ce monde imaginaire pour planter mes pieds dans le monde réel.

Mme Miche n’y croit pas, elle tripote ses papiers sur le bureau, les remet en ordre de façon méthodique, replace un stylo sur son support, déplace le téléphone pour qu’il soit face à elle et qu’elle puisse bien voir les appels entrants. Elle finit par soupirer, se penche, les mains manucurées bien à plat sur la surface lisse et reprend.

- Savez-vous jouer avec les mots, imaginer, inventer ? Connaissez-vous le « Deplace-clochette », la « Trotte cabane », la « Motoarme » ?

Mme Durand est bien obligée de reconnaitre son ignorance. Mme Miche poursuit.

- Comprenez que je n’ai rien contre vous et je suis persuadée que vos compétences sont appréciables mais pour inventer la suite des aventures de « Pâle Nord et Pâle Sud »*, elles sont insuffisantes.

Mme Miche se lève et montre la sortie à Mme Durand. Celle-ci se met debout péniblement et se dirige vers la porte. Avant de la franchir, elle plonge son regard doré dans celui de son interlocutrice et lance.

- Dans ma jeunesse, j’ai voyagé dans un autoplus, j’ai passé des tas de fronts d’hier, j’ai escaladé des Fous-le-camp en Italie et en Sicile, j’ai vu dans le porc de Naples des gens jeter des tas de cochonneries dans la mère, ignares de la solution qu’ils provoquaient. Après avoir longé la fadaise, j’ai trouvé une page blanche un peu plus loin sur laquelle j’ai fait un grain d’écriture en attendant la mariée haute*. Mais de ces temps anciens, rien n’est resté assez bon pour vous et mon talent, point ne le reconnaitrez car de nous deux, en fait, quelle est la plus tarte ?

La tête haute, le menton un peu tremblant, Mme Durand s’enfuit de la maison d’éditions « La charrue avant le bœuf » qui n’avait pas voulu d’elle. Mme Miche hausse les épaules et s’en retourne à son bureau en se demandant pourquoi cette femme lui avait parlé de tarte ?

* tirés en partie du monde du prince de Motordu, Pef, « leçons de géoravie », Folio Cadet


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