Magazine Journal intime

Francesca

Publié le 16 septembre 2008 par Thywanek
Donc nous pouvons nous autoriser à publier : à publier le discours dont j’ai eu l’immense plaisir de gratifier la Mia Francesca, à l’occasion de son anniversaire cet été à Fontayre.
Voici donc, sans retouche, tel que prononcé devant l’assemblée présente ce soir là, ce discours.

Peuple du Monde, peuple de Fontayre et des alentours, plus quelques minipautés annexées pour l’occasion,
Nous sommes ici réunis pour célébrer un événement. Un événement dont il n’échappe déjà à personne qu’il relègue de lui-même au rang de fait divers toute autre actualité, y compris la vague kermesse sportive dont les amusantes péripéties tentent en ce moment de mettre en valeur une bourgade capitale au confins d’un pays où l’on n’a de cesse de nous démontrer que le collectivisme est compatible avec l’économie de marché pour peu que tout le monde marche au pas, sinon, pif paf !
Cet événement planétaire, rappelons-le tout de même pour d’aucun qui seraient principalement venu tâter du climat gastronomique local, concerne en premier lieu, on peut dire carrément au premier chef, celle que dans la région on connaît, voire on reconnaît, sous l’appellation à peine contrôlée de « La Patronne ».
L’ évènement : ses 70 ans !
La Patronne c’est Françoise !
Il eut été tentant, pourvu qu’on disposa d’assez de patience devant les monceaux des agapes prévues pour fêter dignement cet anniversaire, de se livrer à une biographie intégrale : las, avant d’en finir le vin aurait tourné et les mets seraient subrepticement tombés entre les pattes de la gent animalière du lieu.
Nous allons donc nous contenter d’utiliser un procédé qui ne soit pas un raccourci en soi, mais plutôt une façon de distillation du long et palpitant vécu de notre toute nouvelle septuagénaire, afin d’en tirer un genre d’alcool révélateur, une liqueur inédite, pour tout dire une impression.
Ce qui nous mènera tout droit à la première caractéristique qui marque chez Françoise et qui marque encore régulièrement lorsqu’on la découvre, même après des années, beaucoup d’années : elle impressionne.
Faisant le tri, plus exactement s’essayant à le faire, des anecdotes, des histoires,des images, qui ont jalonné son désormais long parcours, il en est une qui semble-t-il peut faire référence. Bien que lointaine, presque un peu anachronique. C’est celle d’une petite fille, dans une campagne où elle avait été confiée à sa mère grand, mais sans chaperon rouge, et qui allait, nous dit-elle, se promener seule dans les bois : pendant que le loup y’est pas, poursuivrait la contine ; sûrement pas ! Bien plutôt pendant que le loup y était. Dans un but un peu vaporeux à cette époque et pour des conversations dont rien ne nous a été rapporté, et où il n’a pas dû être souvent question de galette ni de petit pot de beurre.
Nul doute que ce soit dans ce compagnonnage au parfum de légende que ce soit formé, qu’en savait-elle alors, ce qu’elle allait devenir. Elle qui est née sous le signe de la Lionne.
Survolons une scolarité probablement … probante, d’un coup d’aile d’autant plus propice qu’il nous permettra de retrouver cette jeune femme de vingt ans dans le rôle chic et distinguée d’une hôtesse de l’air. Carrière dont le prestige ne l’empêche pas d’avoir mal au cœur en avion, et donc vouée à une fermeture de parenthèse rapide. Retrouvons-là par la même occasion au bras, et même dans les bras, d’un bel étudiant promis à la haute fonction publique. Et auprès duquel elle va s’essayer, durant un exil en province, à une autre carrière : celle d’épouse modèle. Notons au passage que Sainte Françoise, rare chrétienne à n’avoir pas été dévorée par des lions, est la patronne des femmes au foyer… Adepte du bridge dans les milieux très convenables d’une charmante préfecture, séduisante jeune bourgeoise, un secrétaire en est paraît-il amoureux, on sent déjà pointer son désir de convaincre dans l’insistance qu’elle met à vouloir convertir au bridge, sa dévotion du moment, un certain Lucien : parce que tout de même, il faut faire sa place. Ou la force de convaincre n’est pas encore au point, ou le sujet est mal choisi, Lucien ne se mettra jamais au bridge. Un doute plane-t-il ? Comment savoir, car sur ces entrefaits la première de ses deux plus belles productions arrive : un fils, Frédéric.
Mais une image aussi, glanée un jour de confidence, où elle se revoyait, dans un square de la charmante petite ville de province, mère au foyer, et déambulant sagement en poussant devant elle la poussette où gazouillait le fabuleux bambin, parmi d’autres mères, au foyer itou : et, voyez-vous, comme il arrive à chacune et à chacun, quelquefois, l’indicible sentiment qu’on n’est pas tout à fait exactement dans le bon film. Qu’on glisserait bien une réclamation auprès du scénariste.
Ceci dit, à défaut de convaincre le scénariste en question, (en existe-t-il un), on peut aussi attendre qu’un autre scénario vienne croiser celui qui se déroule avec un peu trop de prévisibilité : 68 s’approche à grandes enjambées, et c’est aux alentours des barricades, si ce n’est sur les barricades, que la seconde plus belle production, Sébastien, va être portée : une sorte de fond baptismaux révolutionnaires in-vitro, si on peut dire.
Concours de circonstance folâtrant avec un bon état de mûrissement, Françoise, émoustillée par l’inventivité des slogans du moment, commence à penser sérieusement qu’outre qu’il soit interdit d’interdire, ça serait peut-être pas mal non plus de reprendre le chemin des bannières du savoir. La formidable pub que constituèrent à ses yeux les hordes d’étudiants qui courraient dans les rues poursuivis par les pédagogues du ministère de l’intérieur emporte sa décision : elle rentre à l’université. Etudes de psycho. Histoire de jeter un œil, puis l’autre, sur ce que c’est que tout ça : tout ça quoi me direz-vous ? La question n’est pas là.
Toujours est-il qu’un monde s’ouvre, se découvre, assez éloigné des réceptions de préfectures, sensiblement moins feutré, notoirement plus animé. Comme il arrive fréquemment aux nouveaux convertis, le zèle tout frais fleuri se développe à la vitesse de ces herbes sauvages auxquelles les racines proliférantes assurent une croissance irréversible. De l’avis, jusqu’à aujourd’hui unanime, soyons prudent, de toutes ses copines de classes de l’époque, Françoise fut, disent-elles, je cite : « la meilleure d’entre nous ».
Le terreau d’un don n’y est sans doute pas pour rien. Et parallèlement croit aussi une indicible capacité qui, empruntant à une intuition digne d’un sixième sens et à une aspiration forcenée à l’omniscience, forge à la séduisante et séductrice jeune femme qui s’épanouit alors, le talent d’avoir raison, souvent raison, tout le temps raison, irréfragablement raison. On ne dispose d’aucune liste des agacements que cela a du provoquer… Certaines femmes fleurissent sous les éclats des bijoux et s’éclairent devant les vitrines de la place Vendôme ; Françoise fait de même sous les fastes du savoir et les excitants bruissements de ces années folles qu’elle se met à arpenter de part en part : les œuvres complètes de Sigmund Freud étant par ailleurs moins coûteuses que les rivières de diamants.
Par un étrange charme, encore aujourd’hui à peine explicable, plus en tout cas que par l’effet d’une rationalité explicite, ou seulement implicite, il faut reconnaître que la contestation de la raison Françoisienne a eu, et a toujours, les pires difficultés à s’élever au niveau de ses fulgurances, de ses analyses, de ses emportements homériques et, disons-le aussi de ses plaisanteries insondables.
Parlant de plaisanterie, on y rangera pour plus de sûreté, vous comprendrez pourquoi, un épisode qui en dit assez sur le contenu d’intensité, entre le numéro de foire et un laboratoire secret du CNRS.
Les rares, et pour cause, témoins de cette scène d’anthologie, le confirmeront : (j’ai les noms pour celles et ceux que ça intéresse.) Lors que quelque peu cernée par diverses pressions extérieures, et sûrement intérieures qui pesaient sur elle, un éclair fulminant jeter par son regard tomba un jour sur un pauvre verre innocent posé là à proximité, et que le verre explosa en morceaux. Bien sur tout projet professionnel dans les Etablissements Duralex ou aux cristalleries Baccarat se trouvait singulièrement compromis, mais assurément, le pouvoir persuasif de ce regard bleu en fut pour bien longtemps assuré et plus que renforcé.
En tout état de cause, freudienne ou pas, la connaissance et la psy vont formé son attelage, et au milieu d’un groupe d’amies, i-e-s, je veux dire pratiquement toutes du sexe opposant, la décennie issue du volcan soixantehuitard se poursuit. Rien ne sera plus jamais comme avant. Rien ne sera plus jamais comme après non plus. C’est plus complexe. Et le couple constitué avec le bel énarque n’y survivra pas. Passage de l’Enarchie à l’Anarchie.
Autre trait de caractère naissant, naissant notamment de ce bain de science ou Françoise est comme un poisson dans l’eau, à telle enseigne qu’elle finit par se prendre pour le poisson et pour l’eau, elle entreprend de dépasser les maîtres : un petit zoom sur l’expression de cette toute nouvelle dimension. Stagiaire, à peine formée, dans un établissement psychiatrique, et suivant sa Maîtresse de stage au chevet des patients afin de parfaire ses connaissances et sa pratique, à quoi n’assiste-t-on pas ? Et bien à l’inversion des rôles où l’élève s’enquiert auprès de sa Maîtresse de savoir si celle-ci a bien fait son travail.
Nul témoignage qu’elle ait un jour virer un professeur de sa chaire pour faire le cours à sa place : ce qui ne veut pas dire que cela ne se soit pas produit.
Françoise est en train de s’apercevoir qu’elle sait déjà, c’est tout !
Et en plus, c’est presque vrai.
Trop vrai, même, peut-être.
A tel point qu’il n’est pas impossible non plus d’imaginer une scène où elle aurait proposé à Monsieur Lacan, le célèbre psychanalyste lui-même, de le recevoir chez lui, dans son propre cabinet, et de l’allonger sur son propre divan, moyennant – on l’espère du moins – un tarif conséquent ! ç’aurait toujours été ça de pris.
Françoise est comme ça : elle est tombée dans la marmite.
Et elle est sans doute ainsi une des plus pertinentes illustrations de cette formule si courante : faire connaissance avec quelqu’un.
Faire connaissance avec Françoise.
Cette période riche d’années tumultueuses mêlent l’éducation des deux fils, les études, quelque emploi alimentaire, et la conquête d’un monde nouveau. Ça fait beaucoup.
Une autre liberté se fraie pourtant un chemin dans ce tourbillon : version féminine de Don Juan, une nouvelle Dona Juana entreprend de faire des ravages : « faites l’amour, pas la guerre », disait un des slogans du joli mois de mai. Bonne idée. La réminiscence de la compagnie du loup et les hydes astrologique la dispose bien sur à mordre dans le fruit, au pluriel : ce pluriel doit en avoir gardé des traces – pluriel d’un bon nombre, ouï-t-on dire – chez les représentants du sexe opposé. Comme aurait dit Duras, forcément opposé.
Descendante d’une longue lignée de protestants elle proteste de tout. Dans un mélange de rigueur et, dirons-nous, d’originalité
L’éducation des enfants en sera imprégnée.
Françoise qui, des années auparavant confiait son aîné à une baby-sitter qui ne savait pas nager et qu’elle dut, elle-même, un jour sauver de la noyade, délègue à ses deux garçons le soin d’apprendre à affronter tous les courants traversés. Une des méthodes les plus intéressantes, nous rapporte-t-on, consistait, lorsque Françoise les emmenait quelque part, à d’abord se souvenir où la voiture avait été garée la veille : plus qu’un jeu, à peine parce qu’elle ne s’en souvenait plus elle-même, c’était évidemment une astucieuse façon de leur faire comprendre que dans le vie si tu ne cherches pas tu ne trouves pas. Une sorte d’initiation. A la limite si tu trouves sans chercher, c’est pas bon signe. Aujourd’hui encore cela demeure un mode fréquent de proposition pédagogique : et moult objets « transitionnels », servent de support à ce thème : lunettes, clefs, sacs à main, porte-monnaie, chaussures, agenda, une mine sans cesse renouvelée pour la quête récurrente d’un Graal de tous les jours, pour les personnes présentes.
Soucieuse de former sa jeune progéniture au tout nouveau power flower, elle tentera de convertir ses deux fils à ce culte pacifiste en les emmenant, un peu de force paraît-il, voir Hair. Preuve que même lorsqu’on est Françoise Durand-Viel il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, la première expédition se solde sur la route, par un significatif froissement de tôles et une jolie série de points de suture. Mai les garçons ne perdent rien pour attendre. Ils sont indemnes de l’accident, et de Hair. Mais ce n’est que partie remise. Ils verront Hair, et ils seront power flower, bon gré, mal gré. C’est un peu le pacifisme à marche forcée, mais ça, non plus, ne se discute pas. Tendance aimez-vous les uns les autres, sinon pif paf !
Devant ce prosélytisme véhément il a même pu paraître opportun d’étudier un projet de décret national afin de dissuader tout fabricant d’arme d’en vendre à Françoise : à tout hasard.
Reste les armes blanches c’est vrai : à notre… connaissance, aucun dégât humain à signaler : moins sur pour le reste : parlons un peu, pêle-mêle, de la patience de Françoise.
Un jour de vacances, ici même, un frigo, tout neuf fut laissé négligemment aux prises avec des glaces abondantes. Tout juste un peu énervée par la chose, Françoise entreprend de le dégivrer grâce un tout nouveau système, mit au point au moment même, dans un grand élan d’inspiration. Avec une spatule en plastique ? Avec une cuiller en bois ? Non, pas assez rapide. Avec un couteau dûment pointu : c’est mieux. C’est dans un grand moment de solitude que nous fûmes un petit nombre à entendre l’élément électro-ménager expirer d’un seul et unique souffle chétif de son fréon vital, tandis que Françoise tentait de colmater la blessure fatale avec des petits bouts inutiles de tout ce qui lui tombait sous la main.
Patience donc très relative, qui se démontre autant dans des domaines importants quand elle est proche de s’agacer que quelque chose à faire pour demain n’ait pas été finit la veille, qui s’exprime dans le discours pour y couper tout ce qui paraît vouloir dépasser du propos qui n’a pas raison comme il le devrait, et plus quotidiennement que l’on croise, dés qu’on utilise un produit dont l’emballage a été ouvert par Françoise : ouvert se traduisant alors par déchiqueté, arraché, déchiré, etc : c’est vrai qu’il est difficile de faire comprendre à un sachet en plastique ou à une boite en carton, même pourvu d’une ouverture facile, trop facile, qu’il serait temps qu’il passe du stade oral au stade anal.
Patience relative lorsqu’en pleine possession de ses moyens de traduire son intuition de l’inconscient par le véhicule de son intelligence, elle s’interroge à voix haute auprès d’un ami et au sujet de l’ami en question en lui confiant : « Au fond tu n’existes pas vraiment … C’est vrai, le vrai toi, finalement, on ne sait pas qui c’est … » Façon comme une autre pour l’ami de saisir un peu mieux pourquoi il vient d’entamer une analyse…
Comme elle dit, elle faisait du « sauvage » : en effet …
Mais revenons un peu à ces fameuses seventies dont le tourbillon n’est pas encore épuisé. Où il reste probablement ici et là quelques mâles inconscients en puissance dont les noms s’évaporent plus vite que le parfum dont elle et une copine d’alors inonderont en douce le chien de l’un d’eux : ainsi puni de ne s’être pas bien conduit dans des circonstances où il y avait femme à venger : ce qui fut donc fait.
C’est le temps des maisons ouvertes, le temps de carpe diem, le temps des escaliers qui craquent dans la nuit, de la porte qui s’ouvre discrètement sur la figure timide d’un soupirant qui tente sa chance. Des vacances en communauté avec les enfants qui suivent sans qu’on en perde rien en route.
Noctambule en plus d’être diurnambule, ce qui peut surprendre si l’on a pas bien compris qu’en plus d’être tombé dans la marmite de la connaissance Françoise est également tombée dans celle de l’énergie sur-active, elle vit deux vies, trois vies, quatre vies en même temps. En ces années où la première crise pétrolière initie une communication grand public un peu débile qui invite chacun à économiser l’énergie et à « chasser le gaspi », elle fait feu de tout bois : elle démontre qu’on peut être tout en un, mine d’uranium, usine d’extraction, et centrale nucléaire.
Puisque nous en sommes à égrener quelques lambeaux de l’actualité de ces années-là c’est quelque part entre la victoire de la gauche aux municipales de1977 et la défaite de cette même gauche – ou à peu près – aux élections législatives de 1978 qu’un événement survient : en moto. Un événement en moto. Le téléphone sonne, Françoise décroche, et une mâle voix à l’accent anglo-saxon lui parle : c’est un ami d’une amie qui cherche avant de rejoindre son île natale, un refuge, un abri … Pour la nuit … L’amie lui avait laissé les coordonnées d’un parrain et d’une copine : hétérosexuel convaincu de très longue date, l’ami motard anglais choisit la copine. Il est dans une cabine téléphonique à moins de 200m de là où loge Françoise ; de peur qu’il ne se perde dans le dédale environnant, elle lui dit, en substance : « Bouge pas de là où tu es, j’arrive ! » : au bout de trois quart d’heure – le temps de quoi faire, l’histoire ne le dit pas, peut-être de chercher sa voiture, à tout hasard – elle trouve enfin, sans doute patiemment campé sur son fier destrier de feu, le non moins fier chevalier de la route, tout de cuir noir vêtu : un régal ! Toute désorientée, elle mettra autant de temps, tournant en rond à une rue de chez elle, pour mener jusqu’à sa porte, le beau David, car c’est bien sur de lui qu’il est question, celui-ci tâchant de l’aider à retrouver où elle habite. Ce qui deviendra un peu rituel par la suite … La porte pudiquement refermée sur cette rencontre, nous n’en savons guère plus sur le temps qu’auront mis ces deux-là à mitonner le plat que leurs désirs proposent, dans le seul but évident de renforcer encore un peu plus l’entente cordiale Franco-Britanique ; toujours est-il que 30ans plus tard, nous les trouvons bien ici, tous les deux, dans cet endroit, Fontayre, né d’une construction commune, lente, baroque, tendre, agitée, compliquée, sujette à d’interminables débats où l’on se souvient notamment de la place qu’y occupa plusieurs années durant, la mare aux grenouilles… presque réduite maintenant à un épiphénomène.
Pour faire semblant de devenir sages, David abandonnera un peu ses pinceaux d’artiste, et Françoise ses livres de psy, afin de tenter de vivre quelque chose de plus ordinaire, qui ne le sera jamais. Jamais parce que ce sont les années où va, grosso modo, se former la tribu mouvante telle que nous la connaissons encore aujourd’hui, avec les deux fils de Françoise, en fin de compte plutôt réussis, à deux ou trois détails près, la fille de David, à peu près réussie, à deux ou trois détails près, les amies de toujours, à peu près rescapées, à deux ou trois détails près, et les amis, à peu près rescapés aussi, … à deux ou trois détails près. Mais les deux ou trois détails près c’est normal : c’est pour que Françoise ait à s’occuper. On a jamais fini de se faire les dents de l’esprit et d’affiner la morsure de sa science… Toujours illuminée par ses fulgurances, celle qu’on a vu paraît-il faire irruption dans des amphi, affublée de perruques diverses, n’en finit pas de décoiffer. Le modeste auteur de ses quelques lignes croise un jour de 1983, le couple Françoise David dans une officine de gestion destinée à la fiscalité des professions libérales, lui, montant des étagères, elle triant des dossiers : au premier coup d’œil ce fut : tiens ! Mais qu’est-ce qu’ils font ici ces deux bohémiens ! Vingt cinq ans après il m’arrive encore d’en rire. Pendant que David va très vite ensuite verser dans le vin, Françoise va grimper méthodiquement les échelons hiérarchiques de l’officine jusqu’à parvenir à la situation d’Eminence multicolore de la dirigeante du lieu, qui a pour nom l’Agaps, pas la dirigeante, l’officine : la dirigeante pour que chacune et chacun la reconnaisse ne répondait pas au sobriquet qui lui allait pourtant si bien de Poupoune. Je dis chacune et chacun car si je ne me trompe on doit être ici pas loin d’une dizaine de personne à avoir été à un moment ou à un autre, pratiquement toutes et tous par Françoise interposée, alimenté par l’Agaps connexion. Car Françoise sait être aussi une femme de réseau. Si le FBI avait su ça !
Il était question de sagesse, d’assagissement … En fait, non, pas réellement. La vérité Françoiso-analytique ne tarira pas, et même si la vie de bureau semble grignoter un peu trop de son énergie, la source atomique est loin de s’épuiser. Et les manifestations fantasques en soulignent régulièrement l’omniprésence : pour qui l’a vue, invitée chez des amis, escalader les canapés pour vérifier si la poussière avait bien été nettoyée au dessus des buffets. Pour qui l’a vue au gré d’un programme télé disparaître subrepticement dans la salle de bain et réapparaître grimée en Tina Turner déchaînée. Pour qui l’a vue, un peu paresseuse culinairement certain soir, proposé à son invité un repas exclusivement composé de foie gras et de Sauternes : quasiment une livre et demi de foie gras et deux bouteilles et demi de vin en tout.
Ainsi va aller, entre deux chats, la carrière humaine de cette dame aux élégances uniques, à la classe hors-classe, jusqu’à une retraite qui dans un cahot dont la charnière grinça un peu – c’est une litote – lui ouvrit de nouveaux horizons, généreusement produits pas ses fils et les épouses de ceux-ci, des horizons de grand-mères.
Je me souviens à cet égard de deux propos marquants : celui où elle suggérait, il y a quelques lointaines années que la vie pouvait bien s’arrêter au chiffre 70 : que tout était forcément plié, et à quoi bon persister alors. Et celui où elle se demandait ce que ça pourrait lui faire de devenir grand-mère. Le tout sur un ton vague et lointain. Limite snob. De quoi être en l’occurrence plus qu’un peu moqueur : ça me faisait un peu rigoler. Aujourd’hui je la soupçonne d’être curieuse de savoir ce que ça ferait d’être arrière grand mère.
Afin de prévenir toute contestation on objectera d’emblée que tout ici n’a pas été concocté avec la bonne foi la plus exemplaire : façon aussi de souligner que Françoise n’est pas constamment de bonne foi : pour tout dire Françoise n’est à peu près d’aucune foi. Et la croyance c’est un peu comme l’art : moins y’a d’officiants et mieux on est sur de ce que ça pourrait produire.
On pourrait encore sur un bon paquet de feuilles à noircir d’encres colorées, faire passer la navette de long en large et de haut en bas sur la toile chamarrée de cette existence débordante.
Avec des faits et ce qu’il disent : par exemple la façon de reconnaître un verre dans lequel Françoise a bu : le globe est opaque. On lui fit remarquer qu’elle ne prenait jamais son verre par le pied : elle expliqua qu’elle le prenait à pleines mains par le corps, pas du bout des doigts par la queue.
On pourrait, mais on commence à avoir faim et soif.
Et tout ce qui précède, soyons clair, c’est ne rien dire. C’est ne rien dire si on ne révèle pas, au bout du compte, ou plutôt du conte, de quoi provient, sans aucun doute possible, cette matière originelle de prescience, d’hyperconscience, d’où le partage règne, d’où son sens de l’aide et de la protection lui a fait sortir plus d’un volatile des méandres où il se cognait, d’où sa subtilité convainc sous les apparences les plus anodines, d’où sa capacité à l’esbroufe organise l’indispensable légèreté grâce à laquelle tout devient supportable en ce monde compliqué.
Rien que pour rédecouvrir tout ça, sous un nouvel angle peut-être, sans rien savoir, on regretterait presque de ne pas être un de ses petits enfants.
Cette matière de base, ne tournons pas autour de pot, et nommons-là. Nommons-là d’autant plus qu’elle s’en moque un peu, en quoi elle a tort, car, vous l’aurez compris, Françoise a tort quelquefois, mais elle s’en fout un peu. Cette matière qui ne doit rien, évidemment, à un quelconque minerais radioactif, d’ailleurs Françoise n’est pas phosphorescente, cette matière n’a qu’un nom : c’est l’amour.
En cela, s’il fallait trouver quelqu’un qui fasse sans conteste, la démonstration de cet adage qui dit qu’il n’y a pas d’amour, qu’il n’y a que des preuves d’amour, nous serons nombreuses et nombreux je crois à confirmer que cette personne se trouve ici : que nous lui fêtons aujourd’hui ses soixante dix ans : et que nous n’espérons qu’une seule chose : c’est que ça dure encore longtemps, longtemps, longtemps.
Seule solution pour que nous voyons paraître ce qui origine , car c’est souvent un art et pas le moindre de l’âge, que de libérer le secret de nos sources, de notre source, et dans le cas de la Francesca, de pouvoir peut-être un jour nous confier ce qui s’est raconté, autrefois, entre le loup et la petite fille des bois.
Y’a plus qu’à patienter. Longtemps. Longtemps. Longtemps.
Bon anniversaire Madame.


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