Magazine Journal intime

Le thé au harem d'Archimède (Ramadan de sagesse)

Publié le 18 septembre 2008 par Corcky



Au Foyer où je bosse, on s'active comme les clones imberbes des Jeunesses Populaires de l'UMP.
On organise le Ramadan.
Tu n'es pas sans savoir qu'il y a chez nous un contingent non négligeable de musulmans venus de toute l'Afrique (la Noire et la moins Noire), et que pas mal d'entre eux sont en plein jeûne rituel.
Et comme c'est la tradition depuis quarante ans au Foyer, les jeûnistes jeûnards jêuneurs les pratiquants qui ne mangent rien dans la journée bénéficient d'horaires décalés pour le petit dej' et le dîner (et comme ça change un peu tous les jours, je te laisse imaginer le bordel que c'est pour les cuistots, qui menacent depuis une semaine de prendre leur carte d'adhérent au Front National, mais nos cuistots sont des connards, et en plus ils oublient qu'au Front National, y'a Farid Smahi, fermons la parenthèse).
Tous les matins et tous les soirs, les gars se retrouvent autour de la table pour partager un moment convivial et paisible, avec de vrais morceaux de recueillement dedans.
Et hier soir, j'ai pu prendre la mesure de ce que pouvait être la Foi, ami lecteur.
Moi qui suis stupidement et aveuglément anticléricale, parfois jusqu'à l'agressivité gratuite et dénuée de tout fondement (la visite du Pape m'avait déjà donné l'occasion de te le prouver), j'ai enfin compris que la Foi pouvait déplacer des montagnes.
Et je te le prouve.

Hier soir, donc, on avait environ quinze résidents attablés au réfectoire, bien après la fin du service régulier. Parmi eux, monsieur M. Monsieur M, c'est un vieux bonhomme qui m'a tapé dans l'oeil dès le premier jour. La soixantaine, cheveux blancs, une bouille toute en rondeur, le sourire timide et l'oeil vif et pétillant d'un gamin qui aurait oublié d'être bête mais qui ne l'étalerait pas en place publique (le genre de gamin qui n'enfoncerait pas la médaille du Bac dans le trou du cul de Xavier Darcos, mais qui lui répondrait poliment et gentiment: "Non, merci"). Monsieur M, il a aussi trois pattes, vu que sa meilleure copine est une béquille Thuasne modèle VT2020, rapport à un sale accident de moto qu'il a eu dans les années 80. C'est la zénitude incarnée, monsieur M. Il ne s'énerve pour ainsi dire jamais.  Tu le ferais jouer dans une pub pour le Troisième Âge, il te ramènerait deux millions d'adolescents boutonneux soudain impatients de prendre leur retraite.
Quand ça a commencé à barder autour de la table et que je me suis pointée, un peu inquiète, je l'ai trouvé debout, monsieur M, avec le regard consterné d'un prof de maths confronté à trente-cinq mômes de terminale C parfaitement infoutus de résoudre un problème de robinets.
- C'est quoi ce bordel? j'ai demandé.
- Voyez par vous-même, qu'il m'a répondu en pointant sa béquille.
Quatre ou cinq types étaient en train de se bastoner sérieusement au milieu des cornes de gazelles et des makhrouds renversés par terre, avec la chorba qui détrempait leurs fringues et le thé à la menthe qui répandait ses pignons dans leurs cheveux.
- T'as tout bouffé la chorba, eh, enculé!
- Même pas vrai! Toi tu t'es enfilé les trois quarts des gâteaux!
- Sale menteur, j'vais te défoncer ta gueule!
- Egoïste!
- Fils de pute!
Tu penses bien que j'allais pas faire d'intervention directe, d'abord parce que je suis irrémédiablement lâche, et ensuite parce que ma mutuelle rembourse les prothèses dentaires à hauteur de quinze euros.
- Heu...messieurs, messieurs, du calme, quoi...c'est la fête, merde, vous êtes censés être dans le partage, tout ça...
- Partage, mon cul! Z'avez vu ce bâtard? Il s'est tapé toute la chorba, et nous on peut crever!
- C'est clair, que tu peux crever, cafard!
Et c'est reparti de plus belle, une pluie de coups de coudes, de coups de poings et de clés aux bras, avec les chaises qui volaient et la grande table qui était sur le point de se renverser.
C'est à ce moment-là, quand le pied de monsieur H est venu s'encastrer dans le cul de monsieur D, que monsieur M est définitivement devenu mon héros.
J'ai à peine vu sa béquille s'envoler.
Sans rire, on aurait dit Yoda en train de mettre une branlée au Comte Doku. J'ai entendu "paf paf paf",
et puis un grand silence.
Mes loustics étaient rétamés sur le carrelage, en train de voir trente-six chandelles.
Les spectateurs regardaient monsieur M comme si, après avoir multiplié les pains, il venait d'ouvrir la Mer Rouge en deux (cette histoire-là, je te l'ai racontée dans un billet sur la Pâques Juive, une autre fête conviviale qui vaut son pesant de cacahuètes).
Monsieur M a doctement levé un index, un peu comme un plombier sur le point de t'expliquer d'où vient la fuite (et combien il va te facturer ses deux minutes de boulot, car les plombiers sont des arnaqueurs de première bourre, souviens-toi du féroce plombier polonais qui venait voler le travail des bons Gaulois).
- Si vous vous vengez, que la vengeance ne dépasse pas l'offense.
J'en suis restée comme deux ronds de flanc. C'était bref, c'était beau, c'était vrai, c'était pas du Houellebecq.
- Waouh, monsieur M...C'est de vous?
- Non, jeune fille, c'est le Coran.
Et puis, regardant les belligérants assis le cul dans la soupe qui reprenaient un peu leurs esprits:
-
L'estomac a deux utilisations: il contient votre dîner et, ce qui n'est pas le moins important, sert à retenir votre pantalon.- C'est le Coran, ça aussi? (j'avais un vieux doute)
- Non. Groucho Marx.
Et il est parti regarder le match de foot.



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