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Le Poème -1 (extrait du Dérèglement: livre en préparation)

Publié le 21 août 2008 par Yannbourven

Je suis l'Ombre absolue
L'Ombre aux mille visages : votre ultimatum cru
Le Bourven me nomme le Poème
Je suis la lueur d'espoir au fond de vos gorges ensanglantées et ma croix glacée en obus gentil défonce les murs décrépis qui strient des années d'immobilisme
Je suis l'absence qui se sucre sur votre dos le fantôme pourrissant je suis votre renoncement alors courbez-vous proprement triste effort pour vous imposer travail paraître se battre pour réussir dans la vie plaire à vos parents qui ne vont pas tarder à claquer le confort le rien-penser le chacun pour sa gueule congés payés abonnements crédits et voter et crier seul entreprendre ne rien comprendre dénuement anesthésie générale quel beau dimanche les arbres dansent face à la mer hurlante : effroi rêves défaits mines blafardes gris sentiers plus d'espoir nausées persistantes l'enfance s'est envolée : il serait temps de vous pendre à ces branches émancipatrices

Je suis l'antenne du doute réceptrice de vos ondes radioélectriques de ces flèches de chair tirées depuis les quartiers populaires où l'on se noie encore maquillé dans un enchaînement de couleurs primaires familles bloquées trahies petits et grands frères poussés à se taire face à cette société qui rejette ses ouvriers et ses fils d'immigrés : je me terre dans vos foyers au sein de vos bandes de potes la rage la haine qui monte j'attends que tout explose j'épouse vos ventres de créativité qui ne vont pas tarder à s'ouvrir
Je suis une pluie sincère qui tombe la pauvre prière délavée d'une femme adressée à elle-même le bilan d'une mère qui reste à genoux devant son lit d'angoisse sur lequel repose le cadavre de ces journées de travail éprouvantes et inutiles : les larmes acides roulent dans la chambre et brouillent les pistes elle se relève et se met à jouir à voix haute sans se toucher alors la corne de ses paumes produit un vrai début de lutte : future brutalité animale d'une beauté qui renaîtra de ses cendres
Je suis l'autre le voisin sans âge qui ne vit plus qui s'ennuie en s'abîmant la voix qui se mure dans un silence de résigné seul crachant une poussière somnifère sur l'écran de son ordinateur au moyen duquel il se croît relié au reste du monde solitude plus solitude plus solitude : comment survivre parmi nos ordures high-tech je suis sa solitude pesante ce mal-être toxique qui se mêle à l'air de son studio qu'il inhale en sanglotant lorsqu'il se fait à bouffer devant la télé allumée
Je suis le métal froid des luttes de classes avortées le sentiment d'abandon la tornade rancunière qui ravagera ces beaux quartiers habités par de ex-jeunes « révolutionnaires » qui ont viré de bord politique qui se sont métamorphosés aujourd'hui en notables centristes ésotériques réactionnaires pelés chrétiens mangeurs de bulletins de vote-opium entrepreneurs de pompes funèbres politiques contrôleurs penseurs cyniques rhétoriciens et professeurs pisseux de bonne conduite vulgaires tartuffes vrais suceurs d'évangélistes créateurs corrompus d'axes de biens, les donneurs de leçons de morale nagent le dos crawlé dans un bassin de surconfort, ça grouille ça frime ça pleure ça s'extasie ça consomme de la culture dans ces familles dans ces quartiers dans ces villages friqués sans âme ou l'on rêve de sécurité de faire carrière de vendre de l'art de l'histoire de l'humanitaire du café du vent ou de la purée
Je suis cet enfant hyperactif en colère qui se ruine la santé en déchirant ses habits de tristesse qui brise les vitres et pénètre dans les dortoirs militaires l'enfant qui dès que ses veines diurnes palpitent se rue dans la forêt dramaturge afin de récupérer son placenta inoxydable qu'il aimerait tellement balancer à la face mauve-rugueuse des adultes en colère ceux qui se méprisent sur ce trottoir blanc qui se crachent des clopes et des becs de gaz à la gueule

Ton ombre, mon ami, je suis ton Ombre aux mille visages !
Et le regard de ce cimetière que tu ne veux plus croiser tous les jours à la même heure quand tu essaies de terminer ta nuit dans ce train de banlieue fétide
Moi je suis l'atome qui se cogne le détail qui flingue tes certitudes je suis le chemin de fer qui parcourt la partie insoumise de ton esprit et qui mène au sommet juteux sur lequel on s'appuie en laissant des traces salées d'underground suspect ah les regrets ah laisse-toi faire abandonne tout reviens à ce que tu aimais vraiment
Je suis ta came le bourrin que tu t'injectes au soleil couchant sur cette dalle de béton ton crack d'arc-en-ciel de la Goutte d'or je suis ta langue qui après la fête lèche goulûment le reste de mdma éparpillé sur la petite table-rambla je suis ta main violette qui cherche à tâtons l'interrupteur qui allumera la lumière blanchâtre de ton devenir
Je suis les quatre saisons réunies le monstre froid d'une matinée pluvieuse le Cerbère planqué derrière les rochers mille fois escaladés par des randonneurs aux fémurs pulvérisés la tarentule qui grimpe le long de tes jambes de feuilles mortes le vampire sadique qui revient tous les mois de mai te sucer la cervelle
Je suis le révolté criblé de balles de dettes et de mauvaises pensées qui se glisse entre les mailles d'un filet-patrie oppresseur : la bombe puissante que tu places dans ton ventre et qui explose enfin en plein cœur de cette tour des affaires
Le Poème ! je te dis ! L'Ombre inconnue qui fait le tour de ton corps !
...
(dessin d'Alexandre Petrovski-Darmon)

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