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Insoupçonnable à Lauzerte

Publié le 24 septembre 2008 par Loïs De Murphy

Quand on aime le genre de la nouvelle et qu’on habite à quelques jets de figues de Lauzerte, on y va. Ainsi étions-nous dimanche mais j’ai annulé sans remords la séance à la messe de onze heures et la réunion tapisserie prévue de longue date avec les autres épouses de gendarme. De toute façon, je m’entends moins bien avec ces dames depuis que j’ai noyé ma fille de trois ans dans la piscine. Non, pas Laurette, elle c’est celle que j’ai étouffé sous son oreiller l’année dernière, c’est pour ça que vous l’avez en tête. Il n fallait pas trop que je tarde, sinon c’était râpé pour la thèse de la mort subite du nourrisson. Je parle de Suzon, son aînée. Je bénis tous les jours celui qui a inventé les « accidents domestiques ». Comme mon eunuque de mari ne voulait pas me donner d’argent pour l’occasion, j’ai revendu mon sextoy en or blanc sur Internet et vendu de la kétamine aux jeunes ados pendant le cours de catéchisme. J’ai ainsi pu dégager un petit pécule pour l’occasion. En fait j’ai failli rater le coche avec eux, je croyais que la «spéciale K » c’était une marque de céréales. Mon frère Bernard est vétérinaire à trente kilomètres de chez nous mais ma peur des chevaux et mon image de godiche l’empêcheront de me soupçonner avant longtemps.

Bref, le jour du départ j’ai pris soin d’emporter avec moi un arrosoir afin que Georges Flipo me reconnaisse sans la moindre hésitation. Grâce à ce banal ustensile Raymonde Bidochon vit une merveilleuse histoire d’amour avec son Robert, et je tenais comme elle à mettre toutes les chances de mon côté. Georges est l’homme que j’attendais, je suis la capsule de sa bouteille de bière et il l’a su en posant les yeux sur mon arrosoir. J’ai confiance. Il ne m’a pas encore écrit de lettre enflammée car c’est un grand timide, mais je lui laisse le temps de faire le premier pas. Disons trois semaines et j’envoie ma première lettre de menaces. Ma concurrente directe c’est Françoise Guérin, qui était à ses côtés pendant les séances de dédicaces, mais je pense qu’elle lui lâchera les empanadas à la réception de mon courrier. Sur la photo jointe à mon ultimatum, Laurette a vraiment sa tête des mauvais jours. Violacée et les yeux révulsés elle ne fait aucun effort pour prendre la pose cette morveuse.

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Le festival était ennuyeux à mourir. Il y avait une évidente complicité entre les nouvellistes, une ambiance conviviale et bon enfant, des écrivains et des éditeurs disponibles, bref, tout ce que je déteste. Pourquoi les gens se croient-ils obligés de sourire, d’être aimables ? Arrêtez de faire semblant bon sang de bois ! Votre hypocrisie m’épuise. Vous me faites tous chier !

Avec ma tête de fille de bonne famille je suis restée insoupçonnable. J’ai acheté quelques livres à ces manants, il faut bien qu’ils s’achètent à boire tous ces alcooliques, et pour leur donner de l’importance j’ai demandé une dédicace à chacun. Grâce à moi Eric Holder pourra mettre un peu de viande dans ses soupes maison cet hiver, ses voisins apprécieront. Françoise Guérin fera un transfert sur moi et congédiera sa charlatane d’analyste, Marie-Hélène Lafon s’achètera un Reflex et Annie Saumont stockera quelques bouteilles d’eau pour la prochaine canicule. Avec moins de pépie elle écrira peut-être des phrases avec plus de ponctuation et de retours à la ligne. A moins qu’elle ne décide de se procurer un chien pour combler sa solitude. Un vieux clébard de préférence, parce qu’un animal qui survit à son maître finit souvent à la fourrière, ils pourraient y penser avant ces andouilles de vieux.

Je suis partie vers les quinze heures sur la pointe des pieds. La bombe a explosé quand je traversais déjà Valence d’Agen, trop loin pour l’entendre. Je ne suis pas la salope que vous croyez : je l’aurais désamorcée sur le champ si l’éditeur de Quadrature ou d’Un noir si bleu avait accepté de lire mon manuscrit.


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