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Julia naquit dans un grand rire

Publié le 28 septembre 2008 par Unepageparjour

Julia naquit dans un grand rire. De la fenêtre qui donnait sur le jardin, sa jeune mère, Jeanne, admirait les gardénias. Les vieilles femmes, autour d’elles, allaient et venaient, tourbillonnantes, virevoltantes, pour s’occuper de la petite, avant de la lui amener, toute rose, pour sa première tétée.

Jusqu’à six ans, Julia ne fréquenta pas l’école. C’était un choix de Jeanne. Hermann, le père, haussait les épaules, levait les yeux au ciel, mais la jeune femme tenait bon. A l’école des bancs de bois et des craies de couleurs, elle préférait l’école de la vie, l’école des jardins, des plantes cultivées et des plantes sauvages, des arbres bombés de sève et des fleurs éblouissantes de lumière. A la parole des hommes, elle préférait pour sa jeune enfant le vol des papillons, le langage des martinets et la science des abeilles. Jusqu’à six ans, disait-elle, la connaissance des hommes pouvait bien attendre. Celle-ci viendrait toujours assez tôt, avec ses guerres intestines, ses krachs financiers, ses distances euclidiennes et ses particules radioactives.

D’ailleurs, Julia, par certains côtés, pouvait passer pour une petite fille surdouée. A trois ans, elle savait lire ! Elle avait acquis ce savoir, étonnant dans sa précocité, par la lecture assidue des petites étiquettes que l’on a l’habitude d’accrocher sur un piquet de bois, planté dans la terre, au pied des espèces rares du jardin dont on a peur d’oublier les noms et de mélanger les graines.

Il y avait la tonnelle, dans le fond du jardin, couverte d’Aristoloches, dont les longs tubes jaunes accueillaient moult colonies d’insecte. Un peu plus loin, des bouquets de Bourraches, étonnamment velues, poussaient à la va comme je te pousse, au milieu d’un tas de vieilles briques rouges, qui n’avaient pas bougé, semble-t-il, depuis des décennies, accueillant par ailleurs quelques fiers Cardères, dont les têtes ébouriffées vous regardaient d’un peu haut. En remontant le petit chemin qui longeait le mur de pierre, délimitant le domaine, on croisait des forêts miniatures de Dactyles, dont les petites mains s’entrechoquaient au moindre souffle d’air. Beaucoup plus haut dans le ciel, un vieil Erable tendait vers Julia ses branches tordues, dispersant à chaque octobre ses samares virevoltantes dans les vents colorés de l’automne, disputant aux Fougères la médaille du maquillage. En revenant vers le centre du jardin, c’était le si fameux massif de Gardénias, si chère à Jeanne, et centre de toutes les attentions du monde. Son parfum, venu de par delà les mers et les montagnes, embaumait les soirs d’été, à la nuit tombée, comme un rêve sucré, dont personne n’aurait su se lasser. Pour prolonger cette touche d’exotisme, Jeanne y avait planté juste à côté un jeune Henné, aux branches délicates, dont les petites fleurs blanches ébouriffées amusaient Julia, sans qu’elle eut su dire exactement pourquoi. Au pied de l’arbre, une famille d’iris recomposée, moitié cultivée, moitié sauvage, étalait ses rhizomes sans aucun complexe. A quelques mètres, trois Jojobas, dont les graines avaient été apportées par un prêtre mexicain passant par hasard dans ce petit village du gersois, avaient grandi, plein de force et de vigueur, faisant la fierté de Jeanne. A côté, un Kolatier déployait ses feuilles sombres et inquiétantes, dont Julia prenait bien garde de s’éloigner, comme d’ailleurs de la haie de Lauriers-roses, dont elle savait ne pouvoir qu’admirer les mélanges de fleurs jaunes, roses et blanches, informée dès son plus jeune âge de haute toxicité de ces arbustes, pourtant si beaux. Elle marchait donc plus sereine le long des Marguerites, les cueillant au hasard pour les effeuiller, il m’aime, un peu, beaucoup, puis s’asseyait pensive, au bord du petit étang. Elle admirait les Nymphéas, aux corolles de porcelaines, roulant machinalement dans ses doigts quelque épi d’Ophioglosse, trouvé là par hasard, au milieu de la Pelouse. Quelques mètres lui suffisaient ensuite pour s’allonger sous l’imposant Quiquina, à l’écorce magique, qu’il lui plaisait de caresser, pour le bon soin de petites maladies imaginaires. Des Saponaires roses, aux fleurs légères et délicates, ornaient d’autres coins du jardin. Des Théiers, enfin, dont certains s’épanouissaient à plus de vingt mètre de hauteur, donnaient à l’ensemble quelques touches de Chine. Puis, tout à fait à l’opposé, dans un coin d’ombre, une minuscule rivière se couvrait des drôles de fleurs jaunes d’Utriculaires. Julia, revenant vers la maison, pouvait ramener quelques branches de Verveine, pour l’infusion du soir. Sur la terrasse, plein sud, un très rare Welwitschia, qui avait quitté son désert du sud-ouest-africain, exposait son tronc massif, aux feuilles Xerophiles, comme le trésor d’un musée. Enfin, devant les fenêtres du salon, quelques Yuccas d’ornement, disputaient aux Zinnias le soin de poser au décor une joyeuse touche finale.


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