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Ce jardin manquait d’R

Publié le 29 septembre 2008 par Unepageparjour

Ce jardin manquait d’R. Ni bottes de Radis, ni de Rutabagas dans le potager. Ni Ronces contre les vieilles pierres du mur. Pas le moindre épi de Riz dans l’étang des nénuphars. Pas même un massif de Rhododendron le long de la pelouse. Julia s’en amusait. Le jardin n’a pas d’R. Oh ! Maman, je manque d’R dans ce jardin. Il faudrait « aRer » ce jardin. Sans R, ce jardin manque de cachet. Maman, je me suis asphyxiée, dans ce jardin sans R.

Tous les jours, elle trouvait une nouvelle métaphore pour implorer sa mère de planter quelque part une espèce en R, afin de parfaire ce merveilleux alphabet naturel.

Mais Jeanne était fort occupée. Car le jardin n’était pas sa seule source de bonheur. Elle veillait aussi sur la santé des occupants d’une gigantesque arche de Noé, qui jouxtait la maison. On y trouvait l’âne et l’ânesse, dont les doux regards ne cessaient d’attendrir Julia, la brebis et son bélier, aux voix rauques et rugueuses, qui imitaient de la manière la plus parfaite des automobiles tombant brusquement en panne, des chevrettes aux bouclettes blanches, petites peluches virevoltantes, couverte d’une pure laine, vierge de toute artifice, des dindes et des dindons, un peu ridicules, qui s’en allaient vexés pour un rien au fin fond de la basse cour, des écureuils roux et des écureuils gris, qui s’étonnaient de tout, et prenaient la poudre d’escampette, dès qu’ils apercevaient les oreilles pointus du petit couple de fennecs des sables. La gerboise des sables, au pelage doré, était l’une des préférées de Julia. Elle aimait lui parler longuement, toujours amusée par ses yeux noirs, immenses, qui semblaient l’écouter avec la plus grande attention. Tout le contraire de ce paresseux hiboux blanc, perché des heures sur une branche du quinquina, à dormir sans cesse, à peine réveillé par les cris des ibis et des jars, qui se chamaillaient sans cesse, pour des broutilles, des riens. D’ailleurs, personnes ne prenaient vraiment garde à leur agitation inutile, pas plus le koala, la tête en bas, qui clignait de l’œil à Julia, que ces lamas majestueux, un peu hautains, qui passaient sans la voir, mâchonnant de manière continue quelques herbes, les malpolis ! Quant aux marmottes, les régionales de l’étape, descendues directement de leur vallée pyrénéenne, c’était à peine si on pouvait les apercevoir, tellement leur nature inquiète leur faisait rentrer la tête dans leur terrier, au moindre craquement. Un jeune nandou, déjà de bonne taille, disputait aux vieilles oies quelques vieilles carcasses de choux. Qui prendrait le dessus de cette bataille épique ? Les perruches s’en moquaient bien. Elles volaient de ci, de là, sans plan précis, en groupe de trois ou quatre, caquetant comme des mégères sur le fond d’azur. Surtout, elles passaient d’un air assez dédaigneux devant la cage du couple de quelea, ces fameux oiseaux à bec rouge, dont les milliards de congénères peuplent les grandes étendues d’Afrique. Eloignés du monde, ces deux oiseaux magnifiques charmaient Julia de leur plumage écarlate. Elle s’intéressait aussi aux petites manies du raton-laveur, qui, avant chaque repas, plongeait quelques fruits dans l’étang, avant de les déguster, luisant d’eau et de soleil, ponctuant son repas de grognements satisfaits, à peine dérangé par les plaintes stridentes des sauterelles vertes, ni les barbotements des tortues naines, qui fainéantaient au bord de l’eau. Une famille d’unaus, ces fameux paresseux, jouaient à cache-cache dans les arbres, surprenant Julia chaque jour dans les poses curieuses qu’ils aimaient à prendre, le père suspendu par un doigt, un bras ballant, dans le vide pendant des heures, les yeux grands ouverts, sorte de penseur philosophe, zen, la mère, la tête en bas, le petit accroché sur le ventre, dans la même attente métaphysique. Quant aux vaches, aux wapitis, aux yacks et aux zébus, leur air bonasse, tranquille, leur placidité à toute épreuve, leur quiétude rassuraient la petite fille, malgré la taille impressionnante de leurs sabots et de leurs cornes.


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