Magazine Journal intime

Revenir sur la question tibétaine

Publié le 26 septembre 2008 par Alainlecomte

On le sait hélas depuis longtemps : une actualité chasse l’autre. Le Tibet faisait la une il y a six mois, et puis il y eut les JO (« qui-se-sont-si-bien-déroulé-n’est-ce pas ? ») et il y a maintenant LA crise (enfin, la crise financière, car il y en a sans doute d’autres, plus graves, à venir). Alors les deux ou trois millions de Tibétains, pensez si on s’en balance (en fait, six millions si on prenait la totalité du Tibet historique). Or, le reportage passé hier soir sur France 2 dans l’émission « Envoyé Spécial » nous rappelle à l’ordre.

C. et moi avons passé une douzaine de jours au Tibet en 2005 (difficile de séjourner plus longtemps, même alors, à cause des permis) et déjà nous avions été frappés par le sort fait aux Tibétains (des citoyens de seconde zone) et par la présence policière, mais nous pouvions nous promener relativement librement (même si un incident banal – un distributeur automatique de billets en panne -nous révéla que nous étions probablement surveillés en permanence – le surgissement soudain de « quelqu’un pour nous aider » n’étant quand même pas fortuit !). Certes, nous avions du passer par une agence et avoir un guide – surtout en réalité pour faire un trek, entre Ganden et Samye – mais l’agence était tibétaine, ainsi que le guide, et celui-ci, qui ne se gênait pas pour montrer son attachement à l’indépendance et au Dalaï-Lama, nous avait laissé une paix royale pour notre visite de Lhassa. Nous avions pu notamment entrer dans tous les monastères que nous voulions et même dans celui de Ramoche, connu pour abriter les moines les plus coriaces (quel moment extraordinaire avions-nous passé au milieu d’une forêt de robes rouges amassées autour du trône d’un grand lama livrant ses enseignements, buvant des tasses de thé aux moments rituels et écoutant ces voix graves qui vous remuent les entrailles). Bien sûr, la flicaille éjectait sans ménagement les paysans qui ne leur convenaient pas du parcours de la « kora », mais nous pouvions dormir dans des petits hôtels tenus par des familles tibétaines (et recommandés par le guide Lonely Planet !).

Le reportage d’hier soir nous montre toute autre chose : une journaliste se faisant passer pour une touriste escortée en permanence par un guide officiel, ne pouvant faire un pas en dehors du « programme » de visite, des hôtels fermés pour absence de touristes, des patrouilles militaires parcourant sans cesse les rues de la ville et particulièrement la place du Jokhang , et puis des chiffres : quatre mille disparus, à Sera – le seul monastère « autorisé à la visite », où on n’a le droit de voir que des salles vides- deux cents moines au moins qui manquent à l’appel (et seraient partis nous dit-on « voir leur famille » !), et tous ces gens, surtout des jeunes, qui implorent qu’on ne leur pose pas de question qui pourrait passer pour « politique ».

Il est temps de dire « assez », temps de dire qu’un chat est un chat et un processus de colonisation un processus de colonisation…. En mars, j’ai exprimé une position retenue sur cette question car je pensais qu’il n’était pas utile d’encourager les Tibétains à aller au casse-pipe… maintenant qu’ils y sont allés, au casse-pipe, et que le résultat est bien conforme, hélas, à ce qu’on pouvait prévoir, il n’y a plus de retenue à exprimer. Le Tibet est le seul cas contemporain de colonisation de peuplement à l’ancienne, avec son cortège d’injustices, de tueries et de gestes d’anéantissement d’une culture. Ceci doit être dit en dépit de toutes les dénégations des Mélenchon et consorts.

Que le régime théocratique existant avant 1949 déplaise à certains peut se comprendre, mais ce n’est en aucun cas une raison de tolérer la brutalité exercée contre un peuple. En soixante ans, le régime en question aurait pu évoluer tout seul de bien des manières : le Dalaï-Lama lui-même a donné des gages d’une telle volonté d’évolution dans l’impulsion qu’il a donnée aux institutions de Dharamsala (nomination d’un premier ministre en charge des affaires non religieuses, élection d’une assemblée – les contradicteurs raillent cette assemblée au principe qu’elle ne serait pas très représentative, quel cynisme ! on ne voit pas bien comment on pourrait recueillir l’avis des Tibétains de l’intérieur….). De plus, il faut qu’on en finisse avec cette idée absurde (qui fait tant de ravages en d’autres endroits du monde) selon laquelle il faudrait qu’un peuple montre son attachement à une démocratie vue sous l’angle occidental pour avoir le droit d’être défendu… Soyons contre le relativisme, d’accord, mais l’universalisme a souvent bon dos, qui peut se muer à l’occasion, en toute innocence, en impérialisme de pensée…

Que faire ? Bien sûr d’abord aider à diffuser une culture tibétaine (notamment une philosophie) qui risque de disparaître, servir de relai en quelque sorte. Et puis, quand on ne sait pas comment intervenir positivement, au moins agir contre ceux qui interviennent négativement chez nous, en démontant leurs arguments. Assez des Mélenchon qui renvoient tout un peuple à un pseudo « Moyen-Age » (sic) et des Chieng (cf. mon billet du 20 septembre) qui sont les propagandistes d’une soi-disant « efficacité » chinoise : cette efficacité, on la voit bien à l’œuvre en effet dans ce reportage….

Anecdote: monsieur André Chieng, “économiste spécialiste de la Chine” prétendait l’autre jour, au Forum de Libé que, contrairement à ce qu’on dit, un contre-pouvoir existe bel et bien en Chine, il est constitué par les millions d’internautes… bel exemple de cynisme quand on sait la manière dont Internet y est encadré et tous les cyber-cafés fliqués…


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