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Gilbert Désveaux est un con

Publié le 08 octobre 2008 par Emma Falubert
Gilbert Désveaux est un metteur en scène et Gilbert Désveaux est un con. Gilbert Désveaux est un con d’abord parce qu’un accent improbable, inutile et en tout cas incongru encombre le premier e de son nom patronymique… On sait sur le sujet que même les plus avertis, des proches parmi lesquels quelques amis, s’y trompent encore, ne comprenant pas cet accent singulier, cauchemar des imprimeurs quand il s'agit de capitales, et l'oubliant sans scrupule.
Gilbert Desveaux est un con parce qu’il vous dira qu’il s’en fout et qu’en plus il n’y peut rien.
Alors ce E, une coquetterie ?
Coquet, soigné et élégant, l’homme l’est sans aucun doute, mais son sens du raffinement ne le pousse jamais jusqu’à la sophistication ampoulée que ce E induirait.
Une négligence ? l’homme est pourtant pointilleux et précis, voire maniaque… dans les situations stressantes, on l’a vu viré à l’obsessionnel, sans jamais aller jusqu’au maniaco dépressif.
Ce E donc ? Un reliquat du passé, voire une relique d’un autre âge, l’homme n’est pourtant ni passéiste, ni fétichiste et encore moins mystique. Plutôt les pieds sur terre et l’esprit pratique, une espèce de rationalité rassurante qui n’exclut pas la fantaisie et les débordements sans extravagances toutefois.
Donc ce E et son accent, distingue ce Gilbert, qui plus est, se trouve être le seul metteur en scène à s’appeler Gilbert et c’est tant mieux, (jusqu à ce que Gilbert Melki ou Gilbert Montagné se mettent à la mise en scène à leur tour mais pour l’heure il n’en est pas question et c'est tant mieux aussi). Gilbert Désveaux est un con parce que il pourrait se vanter qu’en 1947 ils n'ont été que 5175 à recevoir ce prénom, et qu’ils ne furent que 1096 en 1964, son année de naissance (à titre de comparaison, ils furent 26 027, la même année à se faire appeler Philippe). En 2005 il n’y eut quand même que 3 Gilbert, déclaré à l’état civil (contre en 2005, 7960 Enzo et 9309 Lucas) et encore une fois c'est tant mieux…
Tout ça n’a pas beaucoup d'importance ni de sens mais c’est tout de même amusant et Gilbert Désveaux est un con parce que Gilbert Désveaux est amusant, qu’il aime rire, de tout et de rien et que son rire et son envie de rire sont communicatifs.
Gilbert Désveaux est un con parce que sans porter de chapeau, il a plusieurs casquettes. En effet pour certains, il dirige une société de communication événementielle et pour d’autres il anime NAVA le festival des nouveaux auteurs dans la vallée de l’aube ( où la blanquette a coulé cette année du 24 juillet au 3 aout)… Il fait aussi parfois l’acteur, il est aussi père de famille, amateur de bon vin et capable de boire beaucoup d’eau en ne mangeant que des salades. Bien qu’il ne soit pas un sportif stricto sensu, on peut le voir circuler à Vélo dans Paris, le samedi. Profondément et définitivement urbain, il lui arrive pourtant de sillonner la campagne à bicyclette au cours de week-end en famille (nombreuse) quelque part dans le Morvan. Grand lecteur, il est aussi amateur d’arts et d’expositions, il visite à peu près tout, galeries et musées confondus. Il peut faire un saut à Venise pour une biennale et se payer une escapade à Londres juste pour boire un verre chez Sketch le restaurant de Pierre Gagnaire (9 Conduit Street Mayfair London W1S 2XG tel. +44 870 777 4488). A Paris on le trouvera plutôt au Delaville Café et de toute façon en bon épicurien généreux, (et juste un peu snob mais pas trop), il a dans son I phone toutes les bonnes adresses des bons endroits au bon moment, du Time Out, et autre Pariscope branché. On l’a vu à Lisbonne où il n’y a rien à voir mais on le voit rarement à Madrid ( ?!). Quant au reste du monde, on n'en saura pas plus et puis au fond, ça ne regarde que lui.
En tout cas de loin, comme ça, on pourrait le prendre pour un « schyzo-frénetique », agité du bocal et envahissant, totalement en phase avec cette époque agitée et secouée de mouvements browniens frelatés. Ça n’est pas tout à fait ça et en fait, c’est beaucoup plus simple et plus sain : Gilbert Désveaux est simplement un grand amoureux de la vie, curieux de tout, avide de savoir et de comprendre, plein d’une énergie débordante et communicative. Une espèce de joie de vivre revendiquée qu’il a acquis d’ailleurs de haute lutte au cours de sa vie à mille à l’heure.
Donc avec tout ça, Gilbert Désveaux est un con parce qu’il est bien sur metteur en scène de sa vie, de ses vies, et aussi et surtout metteur en scène de théâtre.
Gilbert Désveaux est un con parce que à ce titre il a mis en scène Pertuis, une pièce de Jean Marie Besset qui raconte, évoque l’éveil de deux jeunes gens ordinaires à la condition d’homme. Pertuis est apparemment une histoire d’adolescents que l’on voit balbutier et construire par grandes étapes, chacun à sa façon et avec les chocs et les expériences de la vie, son identité. Cela se passe de façon chaotique et incertaine, au coté de deux mères bourgeoises, envahissantes et aimantes.
Le piège de ce type d’histoire est de, par la connotation du sujet, provoquer d’emblée une certaine exclusion, fondée sur des a priori et autres idées reçues.
Et de fleurir les « Je ne me sens pas concerné par cette histoire de PD » que pourront dire les hétéros les plus machos.
Ou encore « Ces quatre personnages bourgeois et convenus ne m’intéressent pas » auraient pu fustiger les gauchistes les plus « lutte de classe » passéistes.
« Ils ne se passent rien » se lamenteront les plus cinéphiles américains.
« Encore une histoire de plus inutile et pas en phase avec la modernité » auraient pu dire quelques intellos attardés et à courtes vues…
Évidemment, la construction virtuose de la pièce de Besset, en oscillant délicatement et incessamment, entre émotions, nostalgie, faits divers et références historiques, (sans jamais tomber dans la leçon de morale ou de psychologisme, ni la démonstration manichéenne, et encore moins dans l’anecdote piquante) parvient à nous toucher directement et sans sous entendu. Elle nous parle d’amour, de sexe, de viol, de désir, d’enfer et de prison, d’ordre et de désordre, de police et de liberté, de papa et de maman, de demain et d’avant hier, de l’entreprise et des entrepreneurs, d’amants et de maîtresses, de l’art et de la Princesse de Clèves, d’enseignements, de sciences et de mathématiques, de rues en pente et de cimetière, d’attentes et de désillusions, d’argent et de situation sociale, d’enculage et de branlette, de mort, d’absent et d’absences, et au bout du compte surtout de vies… de nos vies.
Et ce que réussit la mise en scène de Gilbert Désveaux, dans une économie harmonieuse de mouvements contrôlés des acteurs et une épure drastique et en lumière du plateau, c’est à mettre en avant et à dégager les télescopages, les frôlements, les superpositions de tous ces sujets qui alimentent et fomentent nos vies. Au fil d’une histoire simple, qui remue puissamment, et évidemment, les formes, les trames et les flux complexes de la vraie vie, la mise en scène de Gilbert Désveaux rend à l’universel ce qui aurait pu être de l’ordre de l’anecdotique et du lien complaisant. Dans sa simplicité, cette mise en scène ouvre donc des pistes, élargit des passages, éclaircit des ambiguïtés. Il illumine cette histoire (au sens propre comme au figuré) en y gommant les zones d’ombres… Zones d’ombres dans lesquelles, on aurait pu les uns, les unes et les autres, chacun dans son coin, s’enliser soit par complaisance, soit par aversion, soit au grés d’une sensibilité mal contrôlée ou d’histoires personnelles mal digérées. Il ménage malgré tout sur ce plateau désert et neutre, la force et la jouissance que provoque cette intimité dans laquelle l’auteur nous emmène, sans nous y noyer et nous y perdre. Il n’y est jamais complaisant pour les souffrances, les manques ou les excès des deux jeunes. Il ne tombe jamais dans un pathos rédempteur ou alibi, au contraire il nous permet de rester et d’appréhender, sereinement et sans culpabiliser, « la légèreté du monde », lui redonnant du souffle et du coup un grand bol d’air. Par sa direction d’acteurs et la simplicité de leur jeu, (on pourrait presque parler de « distanciation » si ne transparaissait pas cette notion de plaisir charnel du jeu… et des jeux) il se refuse là encore à une identification qui aurait pu être facile et simplifiante. En ce sens l’idée des femmes jouées par des hommes est une idée « lumineuse », elle éclaire ces deux êtres, et nous avec, de ce qui est et non pas de ce qui se vit.
Gilbert Désveaux est un con parce que l’air de rien, sans esbroufe, sans avoir l’air d’y toucher, et d’ailleurs on n’y touche pas, avec beaucoup d’humilité, il construit un univers qui ressemble, sans en avoir l’air non plus, à toutes nos vies, dans ce qu’elles ont de floues, de beaux, de fragiles et d’incertains. On se prend tranquillement dans la gueule ces questions qui n’en sont pas et ces réponses qui n’en sont pas moins… et c’est comme dans la vie, on a bougé juste un peu sans s’en apercevoir et à la fin on se retrouve un peu plus loin et un peu mieux.

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