Magazine Journal intime

La machine à bleu

Publié le 19 octobre 2008 par Thywanek
C’était pendant que vous dormiez. Bandes de frileux assujettis aux contingences des superficies. Foules de paresseux qui profitez de la moindre fatigue et des règles horlogères pour vous couvrir de draps, de couettes, de couvertures, refuges manufacturés de vos prétextes nocturnes. Au lieu de vous révolter. C’était pendant que vous mouriez d’un fragment de sommeil. Que vous ronfliez pour prolonger le ronronnement obsédant d’existences encombrées de compensations et d’agitations. C’était pendant que vous sombriez dans l’apaisement provisoire, au gré des derniers vagissements, ressac faiblissant des retombées d’orgasmes, de jouissance, de plaisir, aux dépenses négociées à des liaisons de hasard. C’était pendant que vous étiez encore une fois absent, avec tellement d’excuses qu’on en bâtirait des bibliothèques.
La nuit se faisait jour. Pas l’alternance, non. Pas le passage de l’une à l’autre. La nuit se faisait jour comme l’amour quelquefois se fait jour. Comme une pensée se fait jour. Comme un désir. Comme une beauté. Une apparition dans le cosmos obscur où une bulle lumineuse s’éclaire par l’inversion d’un regard photographique dans son épreuve négative. Celle où les visages noirs sont blancs et où les visages blancs sont noirs.
Au centre de la zone incadastrable où le halot s’élargissait, se dressaient les vasques, les énormes silos, les armatures. Le ciel était d’un azur plus profond que le plus profond des désespoirs.
Dans cette masse liquide plus éblouissante qu’un milliard d’écrans vides au maximum de leur luminosité, tout avait pu se noyer. La parfaite uniformité témoignait en tout cas que rien n’y survivait. Par la moindre étoile. Pas la moindre excroissance de satellite. Pas la moindre formation cotonneuse.
Détaillant les hauts cylindres, les réservoirs, les entrelacs de poutrelles, je ne mis pas très longtemps à comprendre. L’altitude des uns, les tonnes de sables dont débordaient les autres, la solidité de la structure qui tenait tout cela ensemble, et davantage encore la couleur qui avait fini par déteindre sur toutes les parois extérieures, il n’y avait pas de doute.

C’était la machine à bleu.

Lequel d’entre vous, apprenti rêveur ou docteur onirique causa, laquelle d’entre vous, fileuse de songes ou agrégée de l’être, qui parmi nous du simple rameur au puissant armateur, n’a pas passé ne serait-ce que quelques instants, généralement au fil de l’enfance, quant on a que ça à faire, à se demander d’où venait tout ce bleu où nagent nos solitudes et où folâtrent nos rares moment d’optimisme béat.
Il est vrai qu’à force d’avoir pu compulser des monceaux de magazine, d’avoir mirer des kilomètres de film plus ou moins truqués, d’avoir avaler des quantités industrielles de publicité mythomaniaque, une forme de réponse, bien sur fausse, archi fausse, a pu combler cette question pourtant si pertinente, d’un lieu commun définitif.
Le bleu ne vient de nulle part. Il faut seulement savoir que chacun doit tout faire pour y aller, à pied, à cheval, en avion, en bateau, car c’est là, uniquement là, que nous serons tous beaux, intelligents, performants, et amoureux.
Erreur grave !
Et j’en avais la preuve vivante devant moi.
Il n’y a qu’à voir tout le malheur qui persiste et se répand sans cesse sous des latitudes où le bleu est si fort que sa substance se fait métal et que le soleil qui y frappe le fait sonner à en écraser le vivant y compris des herbes les plus résistantes.
Oui la preuve était là. Evidemment la machine ne fonctionne que secrètement. Elle était inerte lorsque je l’ai vue. Cependant, en étudiant la place de chaque composant, sa solidarité avec les autres, le parcours des tubes, les bouches d’aciers, les tapis roulant pour transporter les matériaux, les moteurs, il n’était pas possible d’imaginer autre chose.



N’étant pas ingénieur je ne saurais détailler le mécanisme. Je pense que les matériaux sont amenés dans des chambres de distillation, après avoir été broyés parfois, selon leur texture, puis que d’autres circuits en alimente les grands cylindres soumis alors à diverses pressions ou élévations ou abaissement de température, cela doit dépendre des saisons, afin que le résultat de la transmutation puisse s’échapper des ouvertures à leurs sommets et se déverser dans les fond du toit de l’atmosphère.
Certainement que des explications techniques plus poussées permettraient de mieux saisir le schéma de ce fonctionnement plus complexe que je ne puis le restituer.
Pour ce qui en est des matériaux, je n’ai vu que du sable. Pourtant certaines trace de résidu autour de la machine indiquait qu’une certaine diversité de ressource devait, ou pouvait intervenir.
Il y avait là, jonchant le sol, des plumes de tailles différentes, des lambeaux de cuir, un enjoliveur d’auto de luxe, une fiole de larmes millésimée sans son bouchon, les restes d’un catalogues d’agence de voyage, une manche de chemise blanche, une ballerine, une demi douzaine de touches de piano, une sandale usée, une tuile romaine, la moitié d’un poisson bariolé, une poignée de cheveux roux, la pochette d’un cd d’un chanteur inconnu, une chaîne avec une pince qui avait dû retenir un bijou, un pot de miel vide, un bouquet de tiges dont les roses et les épines avaient disparu, la spirale d’un carnet, un morceau de mosaïque, un pied de verre en cristal, un bout de couronne princière, la queue d’un chat, une dent en or, un œil de chair à l’iris gris, un flacon d’encre renversé, une bougie consumée, un éclat de miroir, une tête de papillon, un faux cil de girafe, un petit tas de soupirs, un itinéraire de délestage, etc, etc.
J’avais entamé un inventaire, et puis devant le capharnaüm que c’était je n’ai finalement retenu que ça.
La chose d’ailleurs la plus curieuse à ce sujet c’est que j’ai pu prendre les quelques photos qui agrémente cet article, photos de la machine, mais que toutes les photos que j’ai prises de ces objets ou de ces traces d’objets divers sont ratées.
On y voit que du sable.

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