Magazine Journal intime

Le libéralisme économique est faux

Publié le 19 octobre 2008 par Alainlecomte

Ce que les approches contemporaines en logique ont mis en valeur (je sors justement d’un séminaire de trois jours sur ces questions), c’est, entre autres choses l’intérêt des résultats… négatifs ! On s’est beaucoup intéressé jusqu’ici aux « vraies preuves », celles qui sont correctes, attestées et approuvées par une assemblée de mathématiciens (voire avec l’aide d’une machine, ainsi que cela s’est fait récemment à propos du théorème des quatre couleurs ), mais fallait-il jeter à la poubelle les « mauvaises » preuves, celles qui ne marchent pas, celles qui tiennent pour acquis un résultat intermédiaire, alors qu’il ne l’est pas ? Eh bien non, de tels objets ont une vie eux aussi, après tout. Ils interagissent avec d’autres essais de preuve et si, un jour, on veut obtenir une vraie preuve d’un résultat, peut-être aura-ce été justement en se servant de bouts de fausses preuves, de résultats partiels.

Et puis bien évidemment, démontrer qu’une preuve qu’on croyait juste était en réalité fausse, voilà qui peut nous permettre d’accéder à des conclusions insoupçonnées, bien plus riches peut-être que celles que le résultat positif attendu nous aurait permis d’atteindre. Les Grands Théorèmes sont souvent des résultats négatifs. On parle ainsi souvent du fameux théorème d’INCOMPLETUDE de Gödel.

godel.1224445273.jpg
Que dit-il ? Il dit ceci : que contrairement à l’optimisme début de siècle (le 20ème) dont faisait preuve le grand mathématicien Hilbert, il ne sera jamais possible d’écrire un système d’axiome « complet », c’est-à-dire permettant de démontrer toutes les propriétés valides au sein d’une théorie mathématique incluant au moins l’arithmétique. On n’aura donc jamais une « machine » qui dévidera l’écheveau de toutes les vérités des mathématiques, permettant notamment de répondre aux problèmes posés par diverses conjectures (celle de Goldbach notamment). Alors qu’on aurait pu penser que ce théorème ferme définitivement les voies de la recherche en logique, au contraire, c’est à partir de lui que s’édifie la partie sérieuse de la logique mathématique. Car il a fallu compenser ce résultat, l’analyser, le comprendre, approfondit ce qu’on entendait par le mot de « complétude » etc.

Il existe un autre exemple fameux (ceci me vient de communications entendues à ces journées), c’est celui du problème des trois corps , que Poincaré avait un temps pensé avoir résolu (en réponse à un concours proposé à l’occasion de l’anniversaire du roi de Suède, en 1889). Il croyait avoir démontré le résultat suivant : tout système d’au moins trois corps soumis aux forces de gravitation réciproques, pourvu que deux des corps ne soient pas trop gros, évolue vers une situation d’équilibre. Il envoya ce résultat à la publication.

poincar2.1224445211.jpg
Puis il se ravisa : quelque chose clochait dans sa démonstration, alors il se remit à l’ouvrage et finalement démontra que… c’est le contraire qui est vrai ! Autrement dit, aucun système de trois corps soumis aux forces de gravitation réciproques, même si certains des corps sont « petits » n’évolue vers un équilibre ! Autrement dit, il demeure toujours chaotique, et son évolution est imprévisible. De même que le résultat négatif de Gödel sonnait le glas des espoirs en une « machinisation » des mathématiques, celui, tout aussi négatif de Poincaré, sonnait le glas du déterminisme laplacien. On ne peut plus désormais penser qu’à partir des conditions initiales de l’univers, on peut prédire ce que sera exactement sa situation à un instant t. Les vrais scientifiques ont ceci d’admirable qu’ils n’hésitent pas à dire qu’ils se sont trompés (et il y a sans doute là de quoi fonder authentiquement une éthique). Et leurs erreurs dans le fond, soit rectifiées soit simplement rendues explicites, nous apprennent autant que leurs succès.

Il est des cas en revanche où l’on n’hésite pas à conserver des résultats faux, ainsi de ce « théorème » de Léon Walras , l’illustre fondateur de l’école marginaliste en économie, selon lequel si on laisse le marché « libre », on arrivera nécessairement à un équilibre global de l’économie. Si on
veut faire les choses rigoureusement, on s’aperçoit bien vite que ce problème n’est autre qu’une formulation équivalente, transposée à un autre domaine, du problème des trois corps. Autrement dit si ce théorème était vrai, le problème des trois corps aurait une solution, or Poincaré vient de dire que non, résultat : bien entendu, ce résultat est faux. Or c’est celui qu’on nous serine sans arrêt pour justifier le libéralisme économique. Conclusion : le libéralisme économique est faux, et les gens comme ce Nicolas Baverez qui clament que « le libéralisme n’est pas la cause mais la solution de la crise », nous bourrent le mou.


Retour à La Une de Logo Paperblog