Magazine Humeur

La Vénus d’Addis

Publié le 07 octobre 2008 par Icipalabre

Belle, séduisante, gracieuse, désirable… si la contemplation d’une oeuvre est parfois indissociable du langage, voici les mots qui viennent immédiatement à l’esprit en découvrant ce personnage réalisé par le jeune peintre éthiopien Elias Areda.
D’où sort-elle cette princesse nubienne qui s’expose aux regards avec une pudeur discutable? Le sait-elle elle-même ? Vénus noire, d’une souveraine beauté, elle semble indifférente au questionnement légitime du spectateur. Son regard se concentre sur un ailleurs invisible, plonge dans un néant immatériel, comme pour contrer la honte ou dissimuler la timidité. Est-elle là, sous nos yeux ébahis, de son plein gré? Comme pour terrasser nos consciences de l’évidence de sa beauté?
Les membres inférieurs disparaissent dans l’obscurité d’un décor uniforme qui pourrait être un mur, une limite, un obstacle infranchissable. Une surface sombre dans laquelle son image pourrait disparaître aussi vite qu’elle est apparue. Mais une source lumineuse diffuse la condamne aux lois de la perception. D’où vient-elle cette lueur qui nous révèle les reliefs adoucis de son anatomie ? D’une fenêtre éloignée peut-être vers laquelle son regard se dirige et d’où viendra la délivrance.
La jeune femme a vingt ans tout au plus. Elle n’ignore pas ce que son corps ainsi exposé suscitera de pensées contraires à la morale. Elle sait ce que sa nudité fera naître d’admirations et de désirs. Mais non, pourtant,  il n’y a de sa part aucune velléité d’exhibition.  Elle cache son sexe d’un geste plus emprunté que naturel: le peintre cède là à une convention qui fut longtemps en vigueur dans la représentation occidentale du nu de Botticelli à Velasquez. Il conjugue ce geste pudique à la volupté qu’inspire les formes généreuses , et au luxe des parures, bijoux et bracelets, dont Vénus n’a voulu se séparer.   C’est donc qu’elle se prête au jeu d’une démonstration. Celle dont le peintre lui-même a défini le double objectif, esthétique et politique.  Il rappelle que le pouvoir de la beauté réside dans le désir qu’elle inspire et non dans un quelconque assouvissement. Dans le même temps, il expose la beauté sauvage d’une femme noire, dont on sait ce qu’elle a pu et peut encore générer de fantasmes dans l’esprit occidental, comptant sur l’émotion puissante qui suit le premier regard, pour asséner son message: voici mon “Orphée noir”, nous dit-il; elle ne craint pas d’être vue, et s’impose à vos regards  comme le parangon de fierté d’une Afrique libérée.


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