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Le corps échappatoire

Publié le 29 octobre 2008 par Cameron

L’écorchure à peine visible sur le dos de sa main n’était pas là la veille. C’était une constatation idiote, songea-t-elle, puisqu’elle n’y serait pas non plus le lendemain, puisqu’aujourd’hui était un moment saisi, hors de la boucle ordinaire du temps, puisque rien ne disait d’ailleurs la réalité physique de cette minuscule trace rouge sur le dos de sa main.

Pourtant, tout autour de cette apparence de blessure, la peau avait blanchi, comme affolée d’elle-même, blême à la perspective de voir céder le mince barrage de chair et la mer rouge intérieure se déverser en liberté. Son corps avait réagi, lui, et c’était une réponse à la question principale, la seule question importante de cet aujourd’hui semblable ni à hier ni à demain. L’ écorchure était vraie. Autant que la main qui en portait le fardeau.

On pouvait peut-être lui inventer une cause. Et aussi une conséquence, oui, c’était une idée, bâtir autour de la trace sinueuse rougie et déplaisante toute une histoire avec un début, une fin, un sens. Un pourquoi. La porte close de la veille, évidemment, la porte close constituait l’explication la plus évidente, parce que le geste de tendre la main est un réflexe, on le fait sans y réfléchir, et peu importe la dureté de l’obstacle à venir, il n’entre pas dans la réalité des choses tant qu’on ne l’a pas heurté. Mais alors, cela signifierait que cette zébrure dont du bout des doigts elle suivait la rugosité était liée à hier, et serait encore là demain. Ainsi que la porte close elle-même. Elle ne voulait pas y penser. Pas aujourd’hui.

D’ailleurs, est-ce que ça avait la moindre importance ? Une écorchure de plus, sur des mains qui en avaient vu d’autres, qui étaient toujours en première ligne pour prendre les coups ou ramasser les débris, elle pouvait faire avec. L’ignorer même, s’il le fallait, en songeant à tout ce que demain annonçait, en se souvenant qu’hier était et resterait un trou noir dont elle inscrirait l’absence au compte des années passées. Ce n’était pas si difficile, de détourner les yeux. Et puis cette main-là, à dire le vrai, ne lui servait pas à grand-chose. C’était curieux de penser qu’elle avait pu faire barrage, elle qui demeurait en retrait dans tous les gestes quotidiens. Cela ne pouvait avoir aucun sens.

Il était temps d’éteindre la lumière. De laisser aujourd’hui devenir demain. Elle songea, un peu curieuse, que le secret de tout ceci devait se nicher dans son sommeil, mais cette idée n’était ni réconfortante ni même amusante. Et demain, demain oui, elle verrait bien. Demain, elle compterait les écorchures nouvelles dont ses mains auraient choisi de s’orner, comme les marques du temps passé à refuser la réalité. Demain.


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