Magazine Journal intime

Marie-Claude Vaillant-Couturier

Publié le 03 novembre 2008 par Thywanek
Vous trouverez la vidéo sur dailymotion. Je ne l’ai pas mise dans cet article. Trop d’illustration nuit à son utilité. De plus c’est une vidéo qui ne montre pas le point sensible que je veux évoquer ici, cette particularité qui y est évoquée sans qu’on en voit le déroulement et que j’ignorais. Et que j’imagine.
La scène se passe à Nuremberg. En 1946. Le «plus grand procès de l’histoire ». Le procès du nazisme. Le procès de l’Holocauste. Même si vous avez réussi à ne voir ni le document filmé de Henri de Turenne, (Le Procès de Nuremberg) ni l’excellent film de Frédéric Rossif et Philippe Meyer, (de Nuremberg à Nuremberg), vous avez certainement aperçu de ci de là, au gré d’une actualité qui y aurait fait référence, des images de ce procès. La grande salle juste réaménagée pour l’événement. La petit foule des avocats. Les greffiers. Les piles de dossiers. Les juges. L’américain, le russe, l’anglais, le français. Et puis la vingtaine d’accusés. Ceux qu’on a si rapidement appelé des monstres. Alors que malheureusement, oui, terriblement malheureusement, ce n’en était pas. C’était des êtres humains. Qualifiables de la pire façon. Oui. Mais des êtres humains. Pas des êtres à part. Pas de vagues entités détachées de l’humanité. Venues d’un autre monde. D’une autre planète. Non. Des hommes, parmi les hommes. Sur la terre des hommes. Vous avez forcément, même furtif, le souvenir d’avoir vu ces hommes, alignés sur leur banc, paraissant tantôt attentifs, tantôt absents, tantôt distraits.
Marie-Claude Vaillant Couturier, communiste, résistante, déportée en janvier 1943, a fait partie des témoins. Elle est arrivée au camp d’Auschwitz-Birkenau dans un convoi comprenant 230 femmes, résistantes, communistes, gaullistes, épouses de résistants. Au moment de franchir les portes du camps ces femmes ont chanté la Marseillaise. En août 1944 Marie-Claude Vaillant Couturier est transférée au camps de Ravensbrück. Ce camps fut libéré en avril 1945. Elle sera restée plus de deux ans dans l’incommensurable enfer des camps nazis. Elle ne revient en France qu’en juin 1945. Durant les semaine qui vont de sa propre libération à son retour en France elle s’est consacrée aux malades rescapés qui étaient en attente de rapatriement.
Lors du procès de Nuremberg elle témoigne.
Dans la salle du procès la barre des témoins, en fait un grand pupitre équipé d’un micro, se situe de l’autre côté du box des accusés. Chaque témoin arrive par une petite porte, à l’arrière de l’endroit d’où elle ou il va avoir à déposer. Il y a quelques mètres à couvrir avant d’aller s’asseoir pour répondre aux questions des diverses parties en présence. A la fin de sa déposition chaque témoin repart par la même petite porte de derrière.
Il ne sert à rien de commenter ces témoignages, en général ; pas plus celui de Marie-Claude Vaillant Couturier qu’aucun autre. Il suffit de lire.
http://www.anti-rev.org/temoignages/VaillantCouturier96a/
C’est de ce qui fit Marie-Claude Vaillant Couturier à la fin de son témoignage que je veux parler ici. En effet, après en avoir terminé, au lieu de se retirer comme tous les autre témoins, elle est passée devant le pupitre et d’un pas ferme a traversé la salle d’audience, puis s’est campée devant les accusés et lentement les a regardés, un par un, dans les yeux.
Alors j’imagine cette scène. Cette jeune femme de trente quatre ans, au visage empreint d’un calme déterminé, avec, du fond de ses yeux, une expression de ce qu’on peut deviner être l’inoubliable souvenir du long couloir d’atrocités dont elle est une des survivantes. J’imagine son regard, droit, dans les yeux d’un Goering, d’un Von Papen, d’un Hess, d’un Von Schirach, d’un Jodl, d’un Kaltenbrunner. Tous ont inventé qu’ils ignoraient. Qu’ils ne savaient pas. Et il y a cette jeune femme qui les regarde, droit dans les yeux, un par un. Longuement. Elle dit plus tard : « Je voulais simplement les regarder, voir de près comment pouvait être les hommes capables de tels crimes. Et je voulais en même temps qu’il me voient, que eux me voient, qu’ils sachent que par mes yeux c’était les millions de victimes qu’ils avaient exterminées, des hommes, des femmes et des enfants, qui les regardaient et qui les jugeaient. C’est ça que je voulais. »
Ont-ils vu ? Probablement pas. En étant dérisoirement optimiste on peut penser que la conscience de ce qu’ils ont fait leur est inaccessible parce qu’ils en connaissent paradoxalement la nature épouvantable. Sinon peut-être espèrent-ils encore qu’on les distingue assez des criminels qui peuvent contempler leurs victimes avec froideur pour qu’on les croient étranger au sort barbare qu’ils avaient fait s’abattre sur le monde et dans les camps d’extermination.
Et elle, Marie-Claude Vaillant Couturier, qu’a-t-elle vu ? Des visages. Des faces humaines. Arrogantes. Imperméables. Impassibles. Des regards indéchiffrables.
Elle est allée devant eux. Lentement. Elle les a regardé un à un.
Et je me dis que nul n’a rien vu.
Ni eux. Ni elle.
Eux tous savaient. Ils savaient tout de l’entreprise dont ils étaient les décideurs au plus haut niveau.
Elle, a su. Elle a vécu cet indicible. Cet indicible constitué pour le souvenir par tant de pages écrites, de mémoriaux, de commémorations. Cet indicible formé de tant de paroles enregistrées, filmées, de tant d’images si effrayantes, des récits des rescapés, récits si souvent insoutenables.
Mais je pense qu’ils n’ont rien vu.
Et qu’elle n’a rien pu voir non plus.
En 1951, dans un procès relatif à une controverse comparant les camps nazis au camps soviétiques, les goulags, Marie-Claude Vaillant-Couturier aurait déclaré « Je considère le système pénitentiaire soviétique comme indiscutablement le plus souhaitable dans le monde entier. » …[ ]
Ayant appris, depuis assez longtemps, de quoi était fait l’univers concentrationnaire soviétique, le mot souhaitable prend son sens le plus contestable.
Nous n’avons rien vu.
La suite, encore, le montre.
Qu’est-ce donc qui devrait se faire jour en chacun de nous pour être sur de voir ?
Maire-Claude Vaillant Couturier a vécu dans la foi communiste. Elle a défendue ses idées. Son idéal sûrement avec l’objectif, l’ambition, que l’humanité s’améliore et progresse.
Lorsque j’ai voulu faire un article à son sujet, je voulais que ce soit un article purement élogieux.Mais je ne peux pas faire un article purement élogieux sur une personne qui aurait pensé que le crime du goulag fut souhaitable dans le monde entier. Une personne qui aurait dû déduire de sa tragique expérience que tout camp où l’on enferme qui que ce soit pour sa race, sa croyance ou ses idées est un crime. Et que ce mot n’a comme d’autres, bien spécifique en la matière, qu’une seule orthographe.

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