Magazine Humeur

De plusieurs nous ne faisons qu’un

Publié le 11 novembre 2008 par Fbaillot

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Il y avait beaucoup de monde ce 11 novembre matin au monument aux morts, et notamment beaucoup d’enfants. Voici ce que j’ai dit.

Depuis 90 ans, nous fêtons la fin de la première guerre mondiale. Cet anniversaire revêt un caractère particulier : Lazare Ponticelli, le dernier poilu, est mort le 12 mars dernier, à l’âge de 110 ans.
Il existe en fait encore deux poilus vivants, Pierre Picault, le doyen (masculin) des Français, né en février 1899, et Fernand Goux, né en décembre 1899. Mais tous deux ont fait moins de 90 jours de front et n’ont donc pas droit au statut d’ancien combattant. Il reste également une dizaine de combattants étrangers dans le monde.
Mais désormais, il nous faut garder la mémoire de ce conflit terrible sans la parole des témoins de cette boucherie. Nous voulons cultiver le souvenir de cette période, parce que nous ne voulons pas que de tels événements se reproduisent. « Une nation qui meurt, c’est une nation qui perd la mémoire », disait le maréchal Foch.

Lazare Ponticelli était un émigré italien, venu à pied, à l’âge de neuf ans de sa province natale de l’Emilie Romagne, au nord de la Péninsule. Il s’engage, à 16 ans, dans le premier régiment de marche étranger, au début de l’été de 1914, « pour ne pas mourir de faim ». En mai 1915, il part en Italie, pour combattre les Autrichiens dans le Tyrol. Après la guerre, il crée avec ses enfants une entreprise de ramonage et se spécialisera ensuite avec beaucoup de réussite dans la maintenance de la pétrochimie et des installations d’énergie thermique et nucléaire.
Les guerres que nous avons subies au cours du XXe siècle ont amené de nombreux combattants étrangers à combattre pour la France. Les plus nombreux furent les nord-africains, 294 000, et les soldats d’Afrique noire, 189 000. Mais également 50 000 indochinois et 41 000 malgaches. Près de 61 000 étrangers morts pour la France restèrent sur les champs de bataille.

Un événement est passé relativement inaperçu il me semble le 3 novembre dernier, à Reims.
Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants, Rama Yade, secrétaire d’État aux affaires étrangères et aux droits de l’Homme, et Adeline Hazan, maire de Reims ont annoncé le projet de renaissance du monument aux “Héros de l’Armée Noire”.
Ce monument avait été inauguré en 1924, en hommage aux tirailleurs sénégalais qui défendirent la capitale de la Champagne au fort de la Pompelle, évitant qu’elle ne tombe aux mains des Allemands. Un édifice identique avait été érigé à Bamako, au Mali. En 1940, les Allemands avaient détruit ce monument, et probablement fait fondre le bronze des statues pour l’industrie d’armement du IIIe Reich. Et depuis, malgré de nombreuses tentatives, ce monument n’a jamais été reconstruit, remplacé par une très modeste stèle. Le secrétaire d’Etat s’est engagé à ce qu’il soit réinauguré en novembre 2010.

La vie extraordinaire de Lazare Ponticelli, ce combattant étranger qui a défendu notre nation, trouve aujourd’hui un écho inédit dans le destin d’un fils d’immigré qui vient d’arriver à la tête d’un grand pays.
Barack Obama, le premier président noir des Etats-Unis, suscite partout un immense espoir parce qu’il sait ce qu’il doit à l’histoire de ses ancêtres.
Ecoutez ce qu’il disait à Philadelphie, en mars dernier :
Je suis le fils d’un noir du Kenya et d’une blanche du Kansas. J’ai été élevé par un grand-père qui a survécu à la Dépression et qui s’est engagé dans l’armée de Patton pendant la deuxième Guerre Mondiale, et une grand-mère blanche qui était ouvrière à la chaîne dans une usine de bombardiers quand son mari était en Europe.
J’ai fréquenté les meilleures écoles d’Amérique et vécu dans un des pays les plus pauvres du monde. J’ai épousé une noire américaine qui porte en elle le sang des esclaves et de leurs maîtres, un héritage que nous avons transmis à nos deux chères filles.
J’ai des frères, des sœurs, des nièces, des neveux des oncles et des cousins, de toute race et de toute teinte, dispersés sur trois continents, et tant que je serai en vie, je n’oublierai jamais que mon histoire est inconcevable dans aucun autre pays.
C’est une histoire qui ne fait pas de moi le candidat le plus plausible. Mais c’est une histoire qui a gravé au plus profond de moi l’idée que cette nation est plus que la somme de ses parties, que de plusieurs nous ne faisons qu’un.

Ponticelli et Obama nous rappellent que nos pays se sont constitués dans le sang et la douleur. Mais notre richesse, c’est aussi notre diversité, et notre capacité à nous allier pour transcender nos différences. Nous n’oublierons pas les sacrifices de nos poilus, parce que nous ne voulons plus jamais vivre ce qu’ils ont enduré. C’est aussi le message du président Obama : le métissage, la différence, ce sont aussi notre héritage, et nous devons en faire des atouts pour un monde de paix et de fraternité.
Je voudrais pour terminer vous dire ces quelques vers de Guillaume Apollinaire, ce très grand poète français mort il y a 90 ans et deux jours, le 9 novembre 1918, de la grippe espagnole contractée à la suite d’une blessure sur le front au Chemin des dames, en 1916.

Nous sommes ton collier France
Venus des Atlantides ou bien des Négrities
Des Eldorados ou bien des Cimméries
Rivière d’hommes forts et d’obus dont l’orient chatoie
Diamants qui éclosent la nuit
Ô Roses ô France
Nous nous pâmons de volupté
À ton cou penché vers l’Est
Nous sommes l’Arc-en-terre
Signe plus pur que l’Arc-en-Ciel
Signe de nos origines profondes
Étincelles
Ô nous les très belles couleurs


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