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Les récréations

Publié le 20 novembre 2008 par Unepageparjour

Début de Habélard et Lola

Les récréations lui donnaient un peu d’air. Elle se postait contre un arbre, goûtant sur son visage la bruine légère de l’automne, la pluie multicolore des feuilles emportées par le vent. Elle aimait sentir les fines gouttes d’eau caresser son front, descendre sur ces joues, comme des larmes lumineuses, que la nature aurait pleuré rien que pour elle. Elle restait là, sans bouger. Elle s’étonnait des choix des filles, s’emmarouchant de garçons au poil court, à la nuque épaisse et aux poings violents, dont elle lisait dans le regard pointu des envies de bagarre, qui l’aurait effrayée. Tandis que d’autres, plus chétifs et le regard fuyant, chuchotaient en groupe, parce que l’un d’entre eux avait subtilisé chez un père esseulé de pauvres revues érotiques, qu’il exhibait d’un air de capitaine devant ses coreligionnaires. Lola haussait les épaules, tournait ses yeux ailleurs et cherchait à suivre alors les courses endiablées des plus jeunes derrière un vieux ballon de mousse, lourd de poussière et de pluie grise, un jeu sans règle précise, bruyant de cris, d’insultes et de croc en jambes furieux. Parfois, ses jambes fourmillaient, et l’envie lui prenait de se mêler à la bagarre. Mais son statut de fille obligeait les autres à la laisser de côté, et après quelques tentatives, elle s’en revenait vers son arbre, un peu piteuse. Elle n’était pas la seule solitaire. Certains, assis dans le fond du préau, se perdaient dans des livres épais, sans images, riaient, s’excitaient ou pleuraient, mais ceux-là avaient choisi leur solitude, et Lola ne leur parlait pas, de peur de les déranger dans leurs propres rêves.

Alors, son esprit se mettait à galoper. Elle s’imaginait parcourir le bocage avec Habélard, franchir des rivières vigoureuses, fouler des prairies encore vierges, s’envoler jusqu’à la mer, et longer le rivage, suivre le flux et le reflux, et faire la course avec les marées, ces fameuses marées du Mont Saint Michel, aussi rapide qu’un cheval, dont elle imaginait les vagues énormes, plus hautes que les grandes frondaisons des chênes, mugir derrière eux, dans des bonds féroces, qu’ils évitaient à perdre haleine, sain et sauf, en s’affalant sur les dunes gelées.

Le soir, de retour au village, elle bâclait quelques devoirs sous sa tente rose, avant de folâtrer avec le poulain, dont la pluie légère avait épaissis le pelage, et frisé les premiers crins de son encolure. Jour après jour, il devenait de plus en plus fort, et même s’il tétait encore sa mère, il la rattrapait en taille, et Monsieur Robert, tâtant ses cuisses avec conviction, préjugeait déjà du bel étalon qu’il allait devenir. Il s’en frottait les mains à l’avance. Et Lola, sans vraiment comprendre ce que ce geste pouvait signifier, s’en inquiétait. Au printemps, déjà, elle savait qu’il lui faudrait courir jusqu’au grand pré pour retrouver Habélard, à la suite du sevrage, prévu aux premiers beaux jours, quand les gelées auront disparues.

La récré


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