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La part de soi

Publié le 21 novembre 2008 par Isabelle Debruys
Toujours, cette question récurrente qui va prendre des déguisements divers, pour toujours dire, au final: "où donc se trouve l'auteur dans ce qu'il écrit?". Ce qui sous-entend qu'il est bien quelque part, et même, qu'il est (un peu) partout. Et l'on vous cite: "vous avez dit, page 32..." (on vous lit, ce que vous adorez); puis on relève la tête d'un air qui n'envisage pas la contradiction: "vous pensez donc que...?"; ou bien (c'est pire, sans aucun doute), d'un air ravi: "on vous reconnaît bien là!"
Ah mais non!
Peut-être, va savoir...
Vous croyez?
Oh?
Mais enfin, mais enfin quoi! D'agacement ou d'effarement, je ne trouve plus mes mots et je bafouille des exclamations creuses, mais il faut dire, c'est un parti-pris tellement stupéfiant...!
Comment dire... Cette drôle de conclusion est (pardonnez-moi) un peu saugrenue. Elle laisse à penser que, lorsque l'on regarde un film, on associe absolument l'acteur ou l'actrice à son personnage, ce que l'on fait rarement. Pourtant, l'acteur engage tout son corps dans son art: il utilise ses gestes, sa voix, sa respiration, des intonations qu'il n'a peut-être jamais eues de sa vie, pour incarner un personnage qui n'est pas lui. L'auteur n'est guère différent. Il puise dans ce qu'il est, dans son existence au sens large du terme. Si large, que ce qu'il a effectivement vécu ne représente qu'une goutte d'eau dans cet océan de vie. Et comme il écrit de la fiction, c'est plus fort que lui: il est bien rare qu'il ne lui ajoute ou ne lui ôte un peu de sel, d'eau, de couleur ou d'odeur. Ce n'est plus bleu, c'est rouge; ce n'est plus rond, c'est carré.
On se dévoile nécessairement dans toute création, mais il ne s'agit pas de parler de soi. En tant qu'auteur, pour paraphraser un autre auteur (lisez le dernier numéro de la revue Décapage, nul doute que vous aimerez)... En tant qu'auteur, je suis la personne qui m'intéresse le moins.
On croit que l'écriture, c'est l'expérience de l'intime.
Non, non.
L'écriture, c'est un jeu. Un jeu magnifique qui consiste à "faire comme si," absolument: c'est un jeu d'enfants.
Le plus beau, c'est la part de l'autre.

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