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Abolir le white cube

Publié le 22 novembre 2008 par Maglesauvage

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Vincent Lamouroux, AR.07, 2008. Courtesy Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois. Production Institut d’art contemporain, Villeurbanne

Pour celui qui visite pour la première fois l’Institut d’Art contemporain de Villeurbanne à l’occasion de l’exposition « Fabricateurs d’espaces », l’abord du centre d’art est d’emblée énigmatique. Une palissade en bois maintenue par un système d’étais se dresse devant l’entrée du bâtiment, devenu invisible de la rue : banalisé, le lieu perd de son impact emblématique dans le tissu urbain. L’artiste autrichien Hans Schabus, auteur de cette intervention baptisée Demolirerpolka (2006), annonce au visiteur, avant même que celui-ci ait franchi les portes de l’IAC, l’un des propos majeurs de l’exposition : remettre en question la validité de l’espace d’exposition.

Conçue par Nathalie Ergino, directrice de l’IAC depuis 2006, « Fabricateurs d’espaces » établit, grâce à un nombre relativement restreint de sculptures et d’installations, une réflexion claire sur la façon dont le lieu d’avènement des œuvres constitue leur matériau premier. Les notions d’espace de l’œuvre et d’espace dans l’œuvre qui y sont traitées, et qui impliquent à chaque fois l’expérimentation du spectateur, brassent tant l’héritage de l’art minimal que celui de l’art conceptuel ou du Land Art.

Dès l’amorce du parcours, cette forme de décalage ironique sous-tend l’œuvre perturbatrice de Vincent Lamouroux, qui procède à une déconstruction littérale et violente du white cube. La première salle de l’IAC abrite AR.09 (2008) — un relief de cubes amoncelés, évidés, dont il ne subsisterait que les arêtes vives et noires, se détachant sur des murs immaculés. À l’opposé du bâtiment, dans une pièce exactement symétrique, AR.07 (2008) est la forme pleine de l’œuvre précédente : des cubes blancs paraissent jaillir des murs du même ton, tels une excroissance monstrueuse du white cube. La substance de l’un semble s’être déversée dans l’autre : le lieu d’exposition, dont les volumes originels sont niés, acquiert ici une fonction de matrice, tel un organisme vivant qui procèderait à une translation physique de matière.

Jeppe Hein repousse lui aussi de manière littérale la délimitation de l’espace traditionnel du white cube. Le Changing Space (2003) est une pièce immaculée, dans laquelle on ne perçoit à première vue nulle intervention, mais dont l’un des murs avance et recule imperceptiblement. L’investigation de l’espace de la part du visiteur est mise à contribution, et active l’œuvre. Comme dans son Self-Destructing Wall (Mur auto-destructeur, 2003), l’artiste danois fait œuvre à partir d’une paroi qui, avec le temps, module l’espace et altère l’œuvre. Le recours à la notion d’espace-temps est également sensible dans la sculpture cinétique de Michael Sailstorfer, Zeit ist keine Autobahn (Le Temps n’est pas une autoroute, 2006). Un moteur active la giration d’un pneu, lequel, pressé contre un mur, s’use et laisse au sol une poussière de caoutchouc dégageant une forte odeur. Cette machine célibataire, entêtante, dans laquelle la fonction première de l’objet, le mouvement, est contredite, est aussi une forme de confrontation entre l’œuvre et son support, la cimaise, par laquelle l’œuvre devra à terme disparaître.

L’artiste américaine Rita McBride opère une autre forme de détournement de l’espace en niant l’architecture même du bâtiment. National Chain (1997) est une installation à dimensions variables, constituée de profils de fixation pour faux plafonds. Cette structure d’aluminium en forme de grille, disposée à mi-hauteur, constitue un horizon nouveau, et oblige le visiteur à se conformer à cette contrainte physique et à expérimenter physiquement l’œuvre. Occupant deux salles en enfilades, mais de niveaux différents, National Chain impose au volume architectural un quadrillage qui organise l’espace comme une cartographie, tout en le redéfinissant. Une autre œuvre de Michael Sailstorfer, Unendliche Säule (Colonne sans fin, 2006), évocation de la sculpture éponyme de Constantin Brancusi, modifie cette fois-ci les limites imaginaires du lieu d’art : l’œuvre n’est pas l’objet lui-même, un imposant projecteur, mais la colonne de lumière, œuvre immatérielle, qu’il projette à 5000 mètres de hauteur. Tout en signifiant un espace infini et immatériel de l’œuvre, Unendliche Saüle établit, dans un mouvement vectoriel, un repère dans le paysage, qui désigne l’emplacement originel de l’œuvre, et projette le spectateur dans une réalité autre, inaccessible.

Oblitéré, déformé, nié, déplacé, dépassé, le lieu d’art est également soumis aux instruments de mesure absurdes d’Evariste Richer : les Sondes (2006), utilisées lors d’avalanches comme outils d’investigation, évoquent un espace enfoui, hors de portée, tout en donnant la mesure de l’espace. L’installation de Michael Sailstorfer, Top of the Syrian Reactor Before Concrete Poured (Partie supérieure du réacteur syrien avant d’être recouvert de béton, 2008), constitue un autre type d’outil de mesure de son environnement. Rythmant une surface circulaire grillagée qui reproduit la forme d’un réacteur nucléaire, des micros sont enfoncés dans des cylindres de béton et reliés à une table de mixage. Les vibrations environnantes, non seulement les pas des visiteurs à proximité, mais aussi les bruits extérieurs au bâtiment, sont captés et retransmis par des hauts-parleurs qui diffusent un son sourd d’infra-basses. Michael Sailstorfer donne ainsi une image sonore de l’espace, somme de vibrations qui sont non seulement dans l’œuvre, mais irradient jusque dans le corps du visiteur.

Pour Guillaume Leblon, il s’agit de forcer les limites physiques du lieu en y intégrant un objet hors de proportions : Four Ladders (Quatre échelles, 2008) est une paire d’ailes de moulin en bois, enchâssée dans deux pièces dont il a fallu par endroits briser les cloisons. L’objet, déplacé de son contexte premier, semble flotter dans les airs : l’incongruité de sa présence est redoublée par la désignation d’une autre fonction de ces structures à barreaux, celle d’échelle, et à la possible référence au songe de Jacob, fuyant vers le ciel en gravissant une échelle infinie. Renvoi monumental à un espace autre, surnaturel, cosmique, Four Ladders fait écho au dispositif Landscape (2003) du même artiste, sous une forme presque imperceptible cette fois-ci. Une légère fumée s’échappe de la base d’un mur, suscitant l’inquiétude du spectateur, amené à considérer la possibilité d’un espace distinct, hypothétique. Là aussi la perception de l’espace et par là, sa validité, sont remises en question.

Au fil de l’exposition, divers processus sont mis à jour, par lesquels l’œuvre tend à se libérer de l’espace qui la contient, bouleversant l’expérience du spectateur. Celui-ci ressent parfois une impression de vertige, car ses repères sensibles sont violemment ébranlés. Cette sensation est prégnante notamment dans la sculpture monumentale de Björn Dahlem, Schwarzes Loch (Trou noir, 2007). Ce mobile en suspension, composé de bois, néon et ampoules, est une représentation du phénomène cosmique du trou noir, par définition invisible. L’artiste invite le cosmos, invisible et donc intangible, dans le lieu d’exposition, qui devient lui-même un espace infini, hors du temps et de l’espace. L’œuvre d’art dématérialise ainsi le lieu de son avènement et achève en le banalisant sa désintégration symbolique.

Fabricateurs d’espaces, Institut d’Art contemporain de Villeurbanne, du 17 octobre au 4 janvier 2009. Commissaire : Nathalie Ergino, assistée d’Aude Merquiol.

  

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