Magazine Nouvelles

Mon petit lutin

Publié le 19 décembre 2008 par Zoridae
Petit bonhomme en bleu, le front ceint de boucles blondes, il ne nous cherche pas du regard.
Tandis qu'à quelques pas devant lui, Marc-Antoine pleure, essuyant sa morve dans son pull, que Lucien se retourne les oreilles pour ne pas entendre le brouhaha des enfants excités et des parents impatients, Kéké regarde ses mains sagement posées sur ses genoux, et il sourit d'un air malicieux. Je me suis glissée au premier rang, entre deux photographes ; lorsque je me retourne, je n'aperçois plus B. que j'ai laissé, adossé contre un mur, derrière moi. Les classes entrent les unes après les autres et le directeur conduit les enfants jusqu'aux bancs où ils s'assoient, en désordre. Les moyens et les grands saluent de loin leurs parents. Les plus petits, intimidées par la foule venue les admirer, hésitent entre rage, désespoir et hébétude.
Par moment, c'est la bousculade. Une mère escalade les premiers rangs pour aider son enfant à ôter son gilet, un père hausse la voix pour exiger que le sien se calme, deux gamins s'empoignent sauvagement et roulent sur le sol, les photographes ordonnent "lève la tête, baisse la tête, souris, arrête de bouger !" Des vagues naissent au fond de la salle et finissent par ébranler le chapelet d'enfants assis qui se mettent à escalader leurs sièges, leurs voisins et à courir dans la pièce exigüe. Pourtant, il me suffit de contempler Kéké pour me sentir en paix. Il semble insensible à l'agitation. Il rit, fait danser ses pieds, de temps en temps lève la tête et sourit aux adultes dont il croise le regard. De loin, il me semble que je le découvre, ce petit être que je connais depuis toujours et il m'étonne. Qu'il est espiègle et libre ! Serein, heureux, fort !
Je pense à sa question au petit-déjeuner : "C'est qui le Père-Noël ? m'a-t-il demandé" et j'ai bredouillé, maladroitement, une réponse vaseuse. Le doute me tenaille en réalisant que je ne me sens pas capable de l'aider à croire à cette histoire que je trouve belle. Comment puis-je donner quelque chose que je ne me souviens pas avoir possédé ? Mais la maitresse aux cheveux orange frappe dans les mains. Le directeur demande un silence que les parents accordent à regret. Alors les enfants, en chœur, entonnent la chanson des retours de récréation, ils tapent dans les mains, articulent les paroles puis tapent des pieds, pour se réchauffer. Sont réunies cinq classes de vingt-sept enfants et la clameur est extraordinaire. Il y a le distrait qui cherche sur les lèvres des autres, les paroles perdues, la star qui secoue ses cheveux, Marc-Antoine qui sanglote de plus belle et celui qui ne fait rien, qui reste silencieux, content, et semble rêver sa vie : Kéké.
Alors, sans s'annoncer, les larmes s'accumulent et inondent mon visage.
Surprise, je pleure.
A l'émotion qui a provoqué ces larmes s'ajoute celle de pleurer. La joie ressemble tellement au chagrin parfois ! Je farfouille dans mon sac à la recherche d'un mouchoir. Sous le préau, les chants se succèdent : la chanson du grand-père à barbe blanche et celle du renne, la chanson des lutins, la chanson de la hotte, la chanson de l'hiver. Ensemble, plus ou moins, les enfants comptent sur leurs doigts, claquent la langue contre leur palais et hurlent les mignonnes paroles. Quand le public applaudit, Kéké se redresse, radieux. Ses yeux parcourent l'assemblée, il jubile. Cécile, sa maîtresse, a aussi, il me semble, les yeux embués. J'ai envie de lui crier que je l'aime en la serrant dans mes bras. J'ai envie de sangloter sur son épaule. Je tamponne mes paupières sans quitter mon fils des yeux.
C'est son premier spectacle de Noël !

Illustration : Marion Peck


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazines