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Etions pourtant ok

Publié le 03 janvier 2009 par Unepageparjour

Début d'Armance Desnoizel

« Etions pourtant ok ». Les mots tranchent comme une lame, ils déchirent son ventre sans pitié. Sa plaie béante semble couler entre les paumes de ses mains. Ses doigts n’y peuvent rien, la vie suinte à gros bouillon. Un haut le cœur la secoue. L’air semble rare, malgré les rires des garçons qui chassent les filles, tout autour de la pelouse, sur laquelle s’alanguissent des couples enlacés, en chemises légères.

« Pourtant ok ». Oui, elle se le rappelle bien. Ce jour de réveillon un peu arrosé. Tant d’amis, autour de la table enguirlandée, entre les bougies vaporeuses et les bulles qui picotaient son nez, tant d’amis qui s’époumonaient « Armance et Pascal, un bébé pour la nouvelle année ! Un bébé pour la nouvelle année ! ». Ils les avaient pris aux mots. Tout calculé. Une pause entre ce fameux projet Excelsior qui dévorait encore ses nuits et le plan Full Future prévu pour la fin de l’année. Juste le temps d’un soupir, pour accompagner l’enfant à naître. Et Pascal qui claironnait à qui voulait bien l’entendre qu’il serait fier de donner à son enfant une promotion en guise de cadeau de naissance. La place de Directeur Général tant désirée s’avérait enfin atteignable. Le Président l’avait promis, avant l’été.
Elle se souvient de chaque jour de janvier. Des soirs d’amour obligatoire, mécanique, qu’elle avait colorié en rose sur son agenda, avec ces trois dates fatidiques, entourées de feutre rouge. Le 6 janvier. Le 7 janvier. Le 8 janvier.

Le 6 n’avait pas réussi. Pascal s’était montré fatigué, énervé, par une longue réunion inutile avec des fournisseurs incapables, s’était-il écrié devant ses reproches. Elle entend encore les mots sortir de ses lèvres : « Après, il sera trop tard ». Mais il n’avait pas pu. Elle s’était résignée, en se plongeant des heures dans la stratégie de lancement d’Excelsior.

Le 7, au matin, le soleil d’hiver brillait dans la buée qu’elle dessinait en traversant le Luxembourg. De fines paillettes de lumière qui semblaient jaillir de ses lèvres, avant de s’envoler vers le ciel, bleu comme un câlin. Cinq mois ont passé et pourtant cette image reste la même, aussi vive, s’étonne-t-elle, aussi précise.

L’image du matin et celle du soir. Elle se souvient de son corps, poisseux et lourd, de son ventre, vibrant encore des cris de l’étreinte, qui l’entraînait vers un lointain voyage. Elle gardait les yeux grands ouverts, couchée dans la nuit grise de la chambre. Pascal dormait, déjà ! Sa respiration lente et régulière, pareille au flux et au reflux de la mer, l’entraînaient vers des îles parfumées. Pourtant, elle aurait aimé, peut-être, quelques mots, quelques ballades à deux qui auraient emmené la trace de leur pas au-delà de ces dunes, dans des sables chauds. Pourtant, elle sentait la piqûre des larmes, au coin des paupières, qui se retenaient de perler sur ses joues souriantes.

Elle n’arrivait pas à dormir. Elle n’osait pas se retourner. Elle avait peur de  réveiller Pascal. La nuit semblait un peu plus blanche déjà. Etait-ce la lune qui se faufilait à travers les persiennes ? Etait-ce sa tête qui s’embuait ?

Elle se souvient qu’elle ne l’avait pas vu tout de suite. Pourtant, ses grandes ailes blanches caressaient le silence, tout près d’elle. Elle avait un peu tourné la tête. Peut-être aussi n’avait-elle que rêvé, après tout ! Mais elle le voyait bien, son profil aimable, ses ailes qu’il rangeait avec douceur contre son dos. « Bonjour Armance, lui avait-il chuchoté dans la pénombre. Je suis venu te dire qu’une petite âme t’a choisie, cette nuit, pour se lover dans ton sein, et grandir dans tes bras. »

Son corps lui pesait et elle ne comprenait pas tout. Il se penchait vers elle, et lui murmurait le nom de l’enfant, un mélange de joie, d’espérance, d’harmonie. Puis il avait posé un doigt sur ses lèvres.


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