Magazine Journal intime

De ce côté-ci de la folie

Publié le 06 janvier 2009 par Lephauste

Nous sommes là, quelques un, nous courons ventre à terre, dans la boue des ornières. Ventre à terre ? Nous rampons alors ? Oui mais à toute vitesse, sorte de lombrics sur alimentés au marc de café. Autour ça pleut du plomb, des grenades à main, de la traçante en gerbes de pointillés une grêle de métal glacé et incandescent. Dur à expliquer la traversée livide d'une balle dans l'air humide de la montagne, la nuit faite aux deux tiers, les impacts profonds. Combat de nuit. Nous sommes le groupe bleu commandé par le lieutenant Tenant, nous attaquons un village en ruines. De l'autre côté, à l'abri des murs, de ce qu'il en reste, le groupe rouge en position de défense. Défendre ce village, se défendre contre ce village, le froid, la haine qui en suinte. Rouges, bleus nous nous connaissons tous. "Ce soir messieurs, marche de combat et prise du village, là!", il nous montre l'endroit sur la carte d'état-major.

D'aucun disent que Tenant, tout gradé qu'il est n'a jamais su lire une carte. D'aucun disent que cette marche va faire de nous des hommes. Des hommes ? Nous le sommes déjà. Pas mal d'entre nous ont déjà vu l'enfer, l'usine, les trois huit, le contre-maître... pas mal boivent comme des trous, se défoncent avec tout ce qui se produit, des montagnes Pachtou jusqu'à la plaine de la Bekaa. Black Bombay mon frère ! Pas mal échappent ici à l'ordure de patron qui se rengorge de ce qu'il a lui, prit des risques, fait fructifier les bonnes idées et pour finir va crever d'un ulcère dans une des meilleures cliniques de la ville. Celle qui justement est tenue par un ami à lui, un pote de régiment, les Aurès, la Mitidja, ça fait rêver ! Des hommes, ça ? Ce tas de jeunes marchandises tôt avariées, ces fusils que j'en ferai pas des tuteurs pour les tomates, cette frousse qui imperméabilise le treillis, les ranger's et le caleçon réglementaire. D'aucun disent qu'on va en chier des ronds de chapeau !

C'est partit !

On se maquille comme des girls du Crazy, on a l'air noirte, méchants assassins, cons comme la mort avec le blanc des yeux comme un coeur de cible; On vérifie le flingue, les chargeurs et pendant qu'on y est on vide la ration de gnôle, ça aide. Pas de valeureux sans alcool ! En avant 'arche ! Tenant nous tient, marche à l'arrière du groupe, se goure, on dévale la pente qu'on vient de grimper en râlant, c'est par là ? Non par là... Le lieute sait pas lire une carte, vrai mais pour ce qui est de donner des ordres il est d'une générosité sans bornes : Bande de petits pédés ! Le premier qui ... Le premier qui te fout en joue, saleté ! c'est le hasard je crois, on y arrive au village, hors d'haleine, éviscérés. Certains font mine de balancer leur fusil dans le fossé, chialent en silence : Ah mes petites crevures ! A mon commandement...

Je m'appelle Ahmed Azzouzi, j'ai vingt ans, on m'en a collé pour douze mois, 9e Régiment de Chasseurs Parachutistes, 79/06, mon père, après le FLN, il est venu en France, OQ aux usines Rosière. Azzouzi ? Trop compliqué on t'appellera Monzami. Eh monzami, elle baise bien ta mouzmé ? J'ai vingt ans et le soir dans la turne mes camarades chantent des chants Nazi. Je l'ai dit au capitaine mais le capitaine il dit que je suis trop sensible... J'ai vingt ans, si ça continue je vais en buter un ... Je...

De ce côté ci de la folie, c'est plus la peine de parler. A Gaza les monzamis !

Je ne me souviens de rien, rien, quelques visages seulement. Celui d'Ahmed, tout particulièrement. Ahmed Azzouzi avec son Kéfhié de l'OLP et ce rire de môme ... Ce rire de môme ... Ce rire de môme ... Ce rire de môme ... Ce rire ...


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