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Ni l'un ni l'autre

Publié le 06 janvier 2009 par Unepageparjour

Début d'Armance Desnoizel

Ni l’un ni l’autre ne supportent l’incompétence, les erreurs évitables, les postures nonchalantes, l’attentisme, le manque de décisions, l’imperfection. Pascal, jeune contrôleur de gestion, a grimpé les échelons en fanfare, jusqu’à ce poste de Directeur Administratif et Financier, qu’il s’apprête à quitter, peut-être aujourd’hui, pour monter plus haut encore. A la force du poignet. Sans états d’âme. Améliorer. Optimiser. Toujours plus, toujours mieux. Un supermarché n’augmente pas son chiffre d’affaires aussi vite qu’un autre ? Bing. L’équipe dirigeante est remerciée, sans ménagement. Le magasin est fermé, vendu à la concurrence. Un autre est acheté à la place, plus performant, avec des cadres plus motivés, plus dynamiques, plus exigeants. Ceux-là s’avèrent moins bons que prévus ? Pas de problème, on les remplace. Le nez dans les chiffres, Belletti est le bras armé du Président. Il calcule, il contrôle, il vérifie. Le peseur d’âme. Un écart, et le couperet tombe, sans hésitation. Scier les arbres malades, trancher les branches mortes, éradiquer les gourmands, tailler les bourgeons secs, éliminer les fleurs fanées. En douze ans, ce grand ménage a transformé un groupe moribond, pourri par les querelles internes, les pots de vin, les malversations, la roublardise en fleuron de l’économie française, salué par tous, le symbole d’un redressement exemplaire.

Armance égrène les souvenirs de déjeuners pressés, de dîners manqués, de nuits blanches passées l’un et l’autre, de chaque côté de la grande table de la salle à manger, la nuque endolorie à force de concentration sur l’écran de l’ordinateur portable. Lui, plongé dans ses tableaux de chiffres, le rouge sang des pertes, frémissant dans le bas sombre des bilans, le vert printanier des profits, qui s’envole au dessus des colonnes. Elle, embarqué dans ses présentations de lancement de projet, les cercles, les flèches, les rectangles multicolores, qui s’entrecroisent, les slogans qui chantent, les formules de marketings qui dansent, les principes de motivation, les prévisions à trois ans, les plans à cinq ans, la définition des stratégies mouvantes, obsédantes, hypnotisantes, l’esprit de conquête, la fibre institutionnelle.

Les lunes, blanches et larges, pâteuses, qui roulent sur les toits de la ville endormie et froide. Les petits jours gris et sales, infestés d’oiseaux aux chants narquois, dont les moqueries stridentes les empêchent de s’endormir, dans la pauvre demi-heure qui reste avant le départ du matin pour une nouvelle journée de combat.


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