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La famille vomi

Publié le 10 janvier 2009 par Zoridae
La famille vomiLe fils
Au début des vacances, le jour où je devais partir seule avec lui en TGV, Kéké s'est réveillé gémissant. Trois secondes après, il me vomissait dessus. En une heure, il a vomi une dizaine de fois. En deux, des centaines de fois. Il ne tenait plus debout et blanchissait à vue d'œil. A côté de lui, une bassine sur les genoux, une main dans ses cheveux, l'autre agrippée au téléphone, j'essayais de trouver un médecin qui se déplace, sa pédiatre étant en congé pour la journée. Impossible. Le 15 n'avait plus de médecin disponible dans le secteur. SOS médecins non plus. J'ai finalement appelé mon médecin généraliste qui m'a dit que je pouvais venir avec lui mais que nous devrions sans doute attendre longtemps. J'ai donc porté Kéké qui a vomi sur son manteau, vomi dans sa poussette et nous sommes allés chez le médecin, à dix minutes de la maison.
"Il fait froid, disait Kéké, je veux rentrer à la maison. Je suis fatigué Maman."
Après une heure et demi d'attente, c'est une collègue de ma généraliste qui nous a reçus parce qu'elle a eu pitié du petit garçon qui me demandait sagement de l'emmener au toilettes pour vomir tous les quart d'heures. Quand nous n'avions pas le temps d'arriver jusqu'aux toilettes, je recueillais le chaud liquide dans des feuilles de Sopalin pliées. Puis nous allions nous rasseoir sagement, le petit paquet jeté dans la poubelle et les mains savonnées.
Le médecin n'a pas été rassurant parce que Kéké semblait avoir très mal au ventre. Elle a parlé d'imbrication d'intestins ou d'appendicite. Elle a aussi dit qu'il pouvait s'agir d'une angine mais il n'y en avait pas encore trace dans la gorge. Il fallait que nous revoyions un médecin dans les 24 heures. Elle n'avait pas très envie que nous prenions le train. Perdue, inquiète, j'ai rhabillé mon fils qui s'est mis à vomir alors que j'avais oublié le Sopalin à l'autre bout de la salle d'attente. J'ai tendu les mains sans pouvoir arrêter tout à fait le flot bileux ; des rigoles mousseuses s'épanchaient sur nos chaussures, des morceaux dégouttaient d'entre mes doigts. L'enfant et moi étions immobiles au milieu de la pièce et des quelques patients qui attendaient en lisant des revues. Au bout de quelques minutes l'un deux s'écria, nous faisant sursauter :
"Vous voulez votre Sopalin, Madame ?
- Oui, s'il vous plaît, ai-je répondu"
Et c'est ainsi que nous avons été sauvés cette fois là.
Plus tard, dans l'après-midi Kéké s'est endormi après que je lui aie administré le médicament anti-vomitif prescrit. Il s'est réveillé pris de nausées et il a recommencé à vomir quelques minutes plus tard. J'avais décidé de partir pour Mâcon quand même mais je doutais de plus en plus de ma résolution. Finalement l'arrivée de son père, l'air frais, le métro qu'il adore, lui ont fait du bien. Je me suis aperçue, devant le wagon que nous étions en première classe. J'avais oublié que nous aurions ce privilège. Nous nous sommes installés et Kéké souriait. Son père, sur le quai, faisait le clown et Kéké éclatait de rire. Je me suis carrée dans mon siège et j'ai bu un peu d'eau. Pour la première fois de la journée, je respirais. Le train s'est élancé et mon fils a appuyé sa tête sur moi. Dans sa main il tenait un de ses Cars mais, épuisé, il n'avait pas la force de le faire rouler.
Au bout d'un quart d'heure de trajet, il s'est de nouveau senti mal. Alors qu'il se penchait sur mes mains garnies de Sopalin, j'ai surpris le regard de la femme qui voyageait seule derrière nous. Surprise, elle a haussé un sourcil, pincé les lèvres puis elle a repris sa lecture en voyant que je maitrisais la situation. J'étais fière de mon fils qui ne pleurait pas, ne grognait pas et essayait juste de dormir entre deux salves de vomi. Ma technique de recueillement de son contenu gastrique touchait à la perfection. Pas une goutte ne traversait le papier. Pas un jet ne manquait sa cible. Lorsque les spasmes de Kéké cessaient, je pliais le Sopalin en quatre et le glissais dans un sac en plastique prévu à cet effet. Puis je tapais des SMS affolés à B. : "Appelle le médecin. Ce n'est pas normal ! Il a vomi déjà 5 fois ! ". "Il a encore vomi 10 fois !"
Résultat, à notre arrivée à Mâcon, ma mère nous attendait pour nous emmener directement aux Urgences de Villefranche. Malheureusement, elle n'avait pas de lingettes. Je n'avais pas pu me laver les mains dans le train et elles sentaient mauvais. Malgré tout, désespérée, je me suis rongée les ongles en préparant de nouvelles feuilles de Sopalin pour le voyage. Soudain, alors que je regardais un peu la route, j'ai poussé un cri. Ma mère a pilé et le sanglier qui traversait la route devant nous a rejoint l'autre côté de la route.
Nous sommes arrivés à l'hôpital à 20 heures. Kéké épuisé, le ventre vide, n'avait vomi que 3 ou 4 fois pendant le trajet en voiture. Bien sûr, le service était bondé. Autour de nous des dizaines d'enfants et de nourrissons, pour la plupart, respiraient avec des bruits de forge et toussaient comme s'il n'allaient jamais reprendre leur respiration. Un garçon d'une dizaine d'année touchait du bout des doigts le gros pansement appliqué sur sa joue. Le sang imprégnait la compresse. Kéké avait soif mais il vomissait derechef la moindre gorgée d'eau avalée. J'ai pu passer mes mains sous l'eau mais il n'y avait plus de savon dans le distributeur des toilettes publiques.
Finalement, une infirmière nous a fait entrer dans un box "Je vous prends en priorité car je le trouve très pâle, cet enfant." Pour une fois je n'ai pas protesté en disant qu'il était tout le temps pâle. Alors, elle nous a abandonné une heure de plus. Comme nous étions à côté du bureau d'accueil et dans une salle où était entreposé le matériel médical, nous voyions souvent le médecin - une jeune femme -, les infirmières et puéricultrices passer devant nous, au pas de course, affairés, le regard fixe. Nous avions l'impression d'être devenus invisibles et Kéké commençait à se plaindre, assoiffé, affamé, fatigué. Enfin, on nous a demandé de le déshabiller. La pédiatre allait venir, nous a-t-on dit. Nous nous sommes secoués, pleins d'espoir. Kéké en slip sur le lit médical semblait maigre et vulnérable. Il tremblait de froid. Le médecin n'est venu qu'après une demi-heure d'attente alertée, enfin, par le fait qu'elle le voyais vomir de nouveau. Mieux que le Sopalin, nous avions la joie d'avoir un haricot pour recueillir la gerbe de mon fils. Mes mains, lavés dans le lavabo du box, sentaient le savon.
Sous les néons, dans le lieu surchauffé, les quelques gorgées séchaient avant que d'autres ne viennent les recouvrir et le haricot semblaient toujours propre "J'espère qu'ils vont le laver quand même, ai-je pensé, hagarde." Le médecin a touché le ventre de Kéké qui sursautait, a examiné sa gorge : "il a une angine, a-t-elle annoncé."
J'ai pensé que nous avions enfin trouvé la raison des vomissements mais elle voulait être sûre d'avoir bien cerné le problème. Il a fallu faire un prélèvement de gorge, une radio du ventre, une prise de sang et attendre les divers résultats. A minuit elle nous a tendu une compote et elle a annoncé, souriante. "Il faut qu'il mange cette compote. Une cuillère à café toutes les dix minutes. S'il vomit, on devra le perfuser cette nuit..."
Bêtement j'ai regardé la compote, l'horloge, et j'ai demandé :
"Mais, il y a combien de cuillères à café de compote dans une compote ?
- Je ne sais pas mais il faut qu'il les avale toutes, sans vomir, a-t-elle répété."
Kéké s'est jeté sur la première cuillère comme un affamé et ma gorge s'est serrée.
"Maintenant, lui ai-je dit, il faut attendre un peu avant de manger la suivante.
- A boire, a-t-il répondu.
Je suis allée voir l'infirmière pour savoir si je pouvais, aussi, lui donner un peu d'eau.
- Non, elle a secoué la tête. Il faut d'abord qu'il mange la compote.
- J'ai soif, m'a dit Kéké lorsque je l'ai rejoint.
- L'infirmière a dit que ce n'était pas possible. Oh ! Mais regarde ! C'est l'heure de ta deuxième cuillère de compote !"
Kéké a dévoré la compote puis il s'est mis à pleurer. J'ai donc rempli un bouchon d'eau et je le lui ai donné. Ses lèvres craquelées se sont mises à briller.
"Mais c'est tout, hein, ai-je articulé péniblement.
- Encore Maman ! m'a-t-il supplié"
J'ai cédé. Nous avons eu le droit, peu à peu, d'accélérer le rythme des cuillerées de compte et nous sommes rentrés à 1h30 du matin. Kéké s'est endormi dans mon lit, alors que nous attendions que ma mère revienne de la pharmacie de garde avec les antibiotiques. J'ai dormi contre lui et je me suis réveillée en sentant ses caresses sur mon visage.
Deux jours plus tard, aux informations, j'ai entendu qu'un petit garçon de trois ans, malade d'une angine, était mort à Paris après un changement de perfusion. J'ai pleuré longtemps...
Illustration : The black apple

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