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La fontaine Médicis

Publié le 11 janvier 2009 par Unepageparjour

Début d'Armance Desnoizel

La fontaine Médicis lui renvoie le reflet de son visage inquiet. L’angoisse monte par-dessus les feuillages, par-dessus le ciel bleu, par-dessus les feux du soleil. La surface de l’onde, à peine ridée par la danse des araignées d’eau, la ramène à cette croisière de la Saint-Valentin.  Le long bateau des Yachts de Paris glissait sans un soupir sur le dos de la Seine grise. Les flots se creusaient sur son passage, sans souffrance, dans le silence pâle d’une soirée de février. La musique légère accompagnait les danses futiles. Les serveurs guindés, dressés comme des épis de blé dans leur smoking étroit, coulaient sur le parquet marqueté, les bras dignement chargés de plats, de plateau et de verres de cristal. L’argenterie des couverts brillait sous les lustres. Armance regardait Pascal, étonnée. Pourquoi ce spectacle ? Cette soirée ? Il souriait, tournant le vin liquoreux devant ses yeux mi-clos. Aidé par les notes aigrelettes qui rebondissaient sur les tentures du salon, il parlait doucement, égrenant sa pensée par petites touches, comme les doigts du pianistes parcourent avec lenteur les touches noires et les touches blanches, l’une après l’autre, dans le sens grave d’une marche funèbre.

« Le médecin est de bon conseil, n’est-ce pas ? ». « Cette amniocentèse va de soi, qu’en penses-tu ? ».

Son esprit vide tintait contre le rebord rond et doux des verres de cristal. Ses lèvres ne buvaient pas. Armance les sentait se dessécher, se désincarner, partir loin d’elle-même, disparaître, pour s’enfuir. Pascal s’assombrissait, se repliant dans sa propre silhouette. Elle ne distinguait plus qu’une masse grise, presque noire, aux contours flous.

« Pourquoi ? ». Elle ne savait pas si c’était la bonne question, ou la bonne réponse.

Il continuait, pourtant. Des paquets d’ombre surgissaient des mots, qu’elle entendait malgré ce brouillard. Distinctement. Les mots restaient nets, noirs sur fond blanc, en relief, gravés dans sa chair.

« Un sur cent onze. C’est beaucoup et pas beaucoup. Si on sait, on pourra choisir ! ». Un silence meublait la nuit. « C’est pas mal, non ? ».

Ses doigts caressaient la nappe blanche. Armance les voyait sortir de l’ombre. Ils tapotaient le tissu damassé. Chaque coup résonnait dans son ventre. Un marteau s’enfonçant toujours plus loin dans sa chair. Assourdissant. Pendant que les couples s’enlaçaient sur la piste, en curieux corps à corps, dans des volutes éperdues, qu’elle aurait voulu dissiper, comme une fumée de cigarette.

« En cas de problème, on règle ce problème. ».

« On zappe, n’est-ce pas ? ». Elle insistait. « On zappe ! L’émission est nulle, on zappe. On efface, et on recommence. ».


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