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Pleine de fureur

Publié le 12 janvier 2009 par Unepageparjour

Début d'Armance Desnoizel

Pleine de fureur, debout, la rage parcourait son corps avec violence. Le verre qu’elle tenait bien serré dans sa main, bleuissait ses doigts. La musique s’arrêtait. Les danses se taisaient, happée par le coton du silence. Pascal murmurait dans un souffle : « Armance ! Armance ! Doucement. ». « Non ! » criait-elle, « on zappe, on efface, et on recommence ! Allez, musiciens, changez de partition ! ».

Le verre brilla dans la lumière, un éclair vif dans le flux précis de sa course. Il se brisa contre le mur, dans le cliquetis aigu des brisures. Armance courait, fuyait la salle épaisse, lourde et vaine.

L’atmosphère froide de l’hiver, sur le pont du yacht, saisit ses poumons. Son cri se tut, dans la nuit parisienne. Elle courait encore, développant devant ses lèvres les nuages vaporeux de son souffle. Elle courait. Le bateau accostait avec fracas contre les pierres grises du quai. D’un saut, elle courait sur la rive, le long des eaux noires, menaçantes. Ses talons aiguilles frappaient les paves ronds, perçant les échos de la nuit. Personne derrière elle.

Les mots se succédaient dans sa tête, tel un gigantesque engrenage, un assemblage de poulies, qui tournaient sans fin dans le vide. « Interruption fluviale de grossesse ». Se jeter dans le courant. Disparaître. « Interruption valentine de grossesse ». Une jeune femme enceinte, retrouvée noyée, un bébé dans le ventre, le soir des amoureux. « Interruption nocturne de grossesse ». Sous le vent de la nuit. Le grondement de l’air, s’engouffrant sous les piles du pont. « Interruption portuaire de grossesse ». Enormes, les péniches en hibernation, restaient parfaitement immobiles, insensibles au drame. « Interruption vague de grossesse ». La Seine se retournait, inlassablement, dans des contours flous, qui se propageaient sur le front des pavés. « Interruption illégale de grossesse ». Le cri des sirènes de police hurlait au dessus d’elle. « Interruption vertigineuse de grossesse ». Elle était sur un pont, au dessus du gouffre sombre, comme à Etretat, mais seule, isolée, perdue. La Seine gonflait ses draps liquides, pour l’accueillir, pour la protéger, pour étouffer ses cris qui cognaient dans tout son être. « Interruption douloureuse de grossesse ».

Affaissée sur le trottoir, pelotonnée contre la pierre glacée du parapet, recroquevillée comme un poussin à l’abandon, Armance pleurait.


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