Magazine Journal intime

Dream Project 3

Publié le 18 janvier 2009 par Thywanek

Monsieur Maîtrêve : - Je vous dérange peut-être ?
Monsieur Kanewyth : - Vous m’avez surpris.
Monsieur Maîtrêve : - Et pour cause, n’est-ce pas ?
Monsieur Kanewyth : - Oui.
Monsieur Maîtrêve : - Alors ?
Monsieur Kanewyth : - Alors presque tout le bassin est gelé. C’est très beau.
Monsieur Maîtrêve : - Vous comprenez néanmoins que nul ne saurait s’y risquer. La couche est trop fine. Elle romprait. Et l’imprudent se noierait.
Monsieur Kanewyth : - Oui.
Monsieur Maîtrêve : - Pourquoi me regardez-vous comme cela Monsieur Kanewyth ?
Monsieur Kanewyth : - Je ne pensais pas ….
Monsieur Maîtrêve : - Allons, allons. Vous ne pensiez pas quoi ? N’êtes-vous pas encore habitué à tout ces débuts, à toute ces ébauches, à tous ces commencements qui vous environnent ? Qui s’empilent autour de vous ? N’apercevez-vous pas qu’il s’agit de ce tout que vous même avez formé, et dont vous êtes formé ? N’avez vous rien dessiné qui se retrouve dans nos derniers échanges, ceux de la dernière fois où je suis venu vous voir ?
Monsieur Kanewyth : - Je suis toujours tellement étonné par la manière dont cela se manifeste.
Monsieur Maîtrêve : - Ultime trace de puérilité sans doute. Votre gravité vous a rejoint. Votre solitude. Celle qui ne dépend de personne. Et qui fait que vous savez aimer. Ne l’oubliez pas.
Monsieur Kanewyth : - L’ai-je jamais oubliée ?
Monsieur Maîtrêve : - La tentation en est toujours grande. Vous n’y avez pas échappé. Mais vous voyez bien à quoi vous revenez, sans arrêt, régulièrement. Aussi sûrement que le marée revient à l’assaut des rochers.
Monsieur Kanewyth : - Oui. Voyez, ça me fait sourire.
Monsieur Maîtrêve : - Vous seul pouvez planer sur ce miroir fragile. Je sais ce que vous avez sauvé de la carcasse de votre guerre. Je vous ai vu l’emporter dans le nord et le froid et le vent, comme une épreuve de survie. Comment voudriez-vous ignorer que cela ne meurt pas. Jamais. Que c’est là que vous vivez. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Mais c’est le votre. C’est ainsi.
Monsieur Kanewyth : - J’ai senti que ça avait survécu. Et… C’est cela qui va danser sur ce miroir fragile.
Monsieur Maîtrêve : - Cela seul en a le pouvoir.
Monsieur Kanewyth : - Pourquoi faut-il si souvent se tromper ?
Monsieur Maîtrêve : - La vérité de chacun réside parmi le vrai de tellement d’autres, à leur insu. Monsieur Kanewyth : - Ca change beaucoup de chose.
Monsieur Maîtrêve : - Pas tant que ça. Mais ça ne tient plus qu’à vous. Et uniquement à vous. C’est votre règne. Quoique ce soit qui vous l’ait inspiré. Toute vérité d’autrui s’efface.
Monsieur Kanewyth : - Et si pourtant j’échouais.
Monsieur Maîtrêve : - Vous ne serez pas le premier. Et vous serez moins seul.
Monsieur Kanewyth : - Quelle ironie !
Monsieur Maîtrêve : - Que croyez-vous ? Je sais à quel point tout peut être donné sans que nul sache s’en saisir. Mais je n’ai rien à vous apprendre sur l’endroit où se trouve ce talent.
Monsieur Kanewyth : - J’ai trop appris à désobéir.
Monsieur Maîtrêve : - Non. Il ne s’agit pas de cela.
Monsieur Kanewyth : - Si. Je le sais. D’une façon bien particulière. Mais c’est de cela qu’il est question. Vous pouvez l’ignorer. Ou m’y sous-estimer. Si même vous j’ai pu vous abuser à ce sujet… Vous vous rendez compte…
Monsieur Maîtrêve : - Dans ce cas je vous ai sûrement abusé davantage.
Monsieur Kanewyth : - Ce n’est pas ça qui m’a rendu insaisissable.
Monsieur Maîtrêve : - Alors c’est quoi ?
Monsieur Kanewyth : - La vanité.
Monsieur Maîtrêve : - La vanité ?
Monsieur Kanewyth : - Oui. L’inutilité de tout ça. La pauvreté. La lente courbe qu’il suffit de laisser s’incliner. Et l’unique satisfaction d’en avoir eu assez de quoi simplement attendre qu’elle touche l’autre extrémité. Et ne s’être entraîner qu’à ce qu’à ce moment là, tout soit si possible doux et léger. Sans même avoir besoin de s’excuser d’être passé. Qu’on ne se soit aperçu de rien. Monsieur Maîtrêve : - Vous mentez.
Monsieur Kanewyth : - Quoi faire d’autre ?
Monsieur Maîtrêve : - Et si vous n’étiez que vous ?
Monsieur Kanewyth : - Comment le supporter. Comment s’en satisfaire.
Monsieur Maîtrêve : - Ce n’est pas là qu’il faut chercher.
Monsieur Kanewyth : - Et si je faisais partie de ceux qui n’ont pas envie de vivre ça !
Monsieur Maîtrêve : - Vous perdriez votre étonnement ? C’est cela ? C’est ce que vous voulez ? Alors faites-moi disparaître !... Après tout pourquoi pas ? C’est peut-être la solution !
Monsieur Kanewyth : - En effet…
Monsieur Maîtrêve : - Vous n’en pensez pas un mot. Je vous vous connais… Comme si je vous avais fait.
Monsieur Kanewyth : - Vous avez pu rater quelque chose…
Monsieur Maîtrêve : - C’est toujours compliqué. Je ne peux pas vous obliger à vivre les réponses que vous refusez. Je ne peux même pas vous empêcher d’essayer de leur donner corps au travers des vecteurs qui vous éblouissent. Ou plutôt… Par lesquels vous préférez vous laisser éblouir. Du reste c’est fréquemment utile.
Monsieur Kanewyth : - De toute façon vous avez raison.
Monsieur Maîtrêve : - Vous dites ça comme si vous en étiez désolé.
Monsieur Kanewyth : - Non. Pas réellement. C’est juste que c’est un peu épuisant. C’est un peu comme savoir et ne rien voir. Puis cette drôle d’impression que rien ne s’use. Que ça pourrait continuer ainsi pendant encore tellement de temps. Bien sur que vous m’avez fait. Plus que n’importe quoi d’autre. Plus que cette conjonction d’atomes dont je suis issu et dont vous avez vu les ruines. Et vous devez être au courant également que le plus difficile n’est pas de chercher qui on est, mais d’où on vient. Probablement qu’on ne le découvre qu’en avançant. Sûrement que je ne sortirai jamais de cet isolement… Je me dis parfois que c’est une sorte de destin nouveau qui touche chacune et chacun désormais. D’où on vient. Et alors, qui on est. Un travail d’évasion de l’histoire apprise. Plonger et replonger et replonger encore le sceau au fond du puits jusqu’à ce qu’on puisse enfin se reconnaître dans l’eau qu’on remonte. C’est dans la mémoire, oui. C’est dans les livres. Pourtant ça ne suffit pas. On le voit bien. Ca ne peut pas suffire. Certains jours on se regarde dans cette eau et on se dit oui, c’est ça. On distingue à peine quelque chose en fin de compte. Et cependant on dit oui, c’est ça, parce qu’on est fatigué, parce qu’on a envie de faire quelque chose de ce reflet là, en s’arrangeant du flou, de l’imprécision, et qu’on se rend compte aussi, pendant de longues périodes, que plus on remonte de sceaux et plus l’eau est trouble. Et on finit par usurper un être vague dans la brume.
Monsieur Maîtrêve : - Ecoutez-moi. Acceptez…
Monsieur Kanewyth : - Dites…
Monsieur Maîtrêve : - Vous allez vous asseoir au bord du bassin dans la neige. Vous allez perdre la notion du temps. Ca descendra du soleil, de sa petite boule de feu qui rase les toits, là-bas, les toits déjà si sombres. Petit à petit vous allez vous évanouir. Vous savez faire ça. Sans tomber. Simplement. Comme si vous disparaissiez de l’intérieur de votre enveloppe. Et vous allez le voir. Et il vous montrera tout ce que vous avez. Les maisons. Les guerres. Les lits brûlants. La mort qui rôde. Les bouts du monde. Le révolver sous votre cœur. Les roses dans un jardin de lave. L’instance maritime et lunaire. Le décryptage de l’onirisme. La nuque de celui-là comme il ne peut la connaître lui-même. L’étendue de celle aux accès défendus par un décret sans combat. Ca dansera pieds nus sur la glace à peine frôlée. Ca roulera son vêtement de soie noire dans les paillettes de givre. Ca volera dans le froid en lâchant les volutes de son haleine bleue. Ca aura le poing du guerrier et les arcs de la volupté. Ce sera la pointe d’une lance qui transperce la distance d’un trait de phoenix. Une ronde au charme enivrant qui vaporise un alcool pourpre dans un long meurtre vivant. Il vous a montré. Il vous montre. Il vous montrera. Vous abandonnerez la physique d’une contingence dont vous croisiez le déclencheur avec la fortuite modestie d’en avoir eu besoin, de celui-ci ou d’un autre, de celui-ci, de ce que le virtuel peut offrir au rêve pour y joindre du réel, et cueillir dans le réel pour féconder le rêve. C’est un monde autre qui arrive Monsieur Kanewyth. Nul ne sait encore à quel point.
Monsieur Kanewyth : - Pourquoi est-ce que j’en reste à la coïncidence d’un croisement dans des mondes oubliés.
Monsieur Maîtrêve : - Qu’avez-vous éprouvé ?
Monsieur Kanewyth : - …
Monsieur Maîtrêve : - Je suis sur que vous ne vous y êtes pas trompé.
Monsieur Kanewyth : - Il n’y a pas de sentiment sans le corps. Même si c’est un sentiment qui ne l’utilise pas.
Monsieur Maîtrêve : - Exact. Cependant il y a des parties de nous qui peuvent exister sans corps. Cela se justifie parce que quelque part il y a bel et bien un corps auquel c’est attaché par un lien parfois distant, immatériel dans certains cas, et aussi vital que tangible. Vous avez dû vous laisser leurrer, c’est souvent nécessaire. D’ailleurs vous le savez et vous jouez en aveugle avec un savoir faire consommé. A présent que vous détenez définitivement les messages qui vous sont parvenus par canaux électroniques ou autres, vous est-il encore indispensable de savoir d’où il proviennent ? Quoi les a inspirés ? S’il vous étaient vraiment destinés ? Vous êtes un voleur aussi bien qu’un menteur. Faites-en bon usage et voilà tout ! Relisez. Ce sont vos propriétés désormais. Rien d’autre ne peut danser sur ce bassin de glace que cet être fluide et argenté que vous avez tiré de vos ruines pour le soumettre une fois de plus à l’épreuve du froid, des tourments du vent et du lent ravage des flot salés et tumultueux sur les décombres des catastrophes légendaires. Que vous faudra-t-il de plus pour vous convaincre que c’est là que vous êtes né. A présent regardez votre rue. Les toits du haut de votre fenêtre. Et tout ce que vous croisez. Regardez tout. Vous pensez ne rien voir. Voyez ! Y a-t-il là une solution aux guerres ? Y a-t-il là quelque chose qui dise de l’amour ? Y a-t-il là les raisons d’un assassinat ? Y a-t-il là des brisures que vous pourriez glaner, dont vous pourriez faire provision pour les fondre en quoi que ce soit qui saurait s’appeler bonheur ? Petits objets passagers qui font un gué au dessus des courants à traverser.
Monsieur Kanewyth : - On serait alors si loin du petit corbeau agonisant remis dans le cours du fleuve ?
Monsieur Maîtrêve : - Oui. Nous en sommes loin. Et loin de vos projets qui n’étaient que des étapes.
Monsieur Kanewyth : - Loin de s’occuper de quelle musique…
Monsieur Maîtrêve : - Ne vous souciez même plus d’où tout cela vous est venu.
Monsieur Kanewyth : - Voleur disiez-vous.
Monsieur Maîtrêve : - Oui. Et la prison est à l’extérieur. Si vous comprenez ce que je veux dire.
Monsieur Kanewyth : - Oui. Je comprends. Ca me rappelle quelque chose.
Monsieur Maîtrêve : - J’imagine. Comment va Marcus ?
Monsieur Kanewyth : - Il a progressé.
Monsieur Maîtrêve : - J’aimerais que vous me le présentiez la prochaine fois que nous nous verrons.
Monsieur Kanewyth : - C’est entendu.
Monsieur Maîtrêve : - Je compte sur vous… Je dois y aller à présent. A bientôt. Et… faites attention à ne pas prendre froid… Si vous voyez ce que je veux dire…
Monsieur Kanewyth : - Ca ne devrait pas arriver. Merci d’être venu.
Monsieur Maîtrêve : - Au revoir Monsieur Kanewyth.
Monsieur Kanewyth : - Au revoir Monsieur Maîtrêve.

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