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La princesse au petit pois

Publié le 15 décembre 2008 par Lili

La princesse au petit poisC’est reparti !

Je sais je ne suis pas originale mais que voulez-vous, grimper dans un RER est, comme bon nombre de personnes, mon lot quotidien.

Ce n’est pas original non plus de dire que ces trains sont bondés, oppressant, déprimant. Je me répète certes. Je reconnais volontiers le poncif. Qui prétend que la vérité est originale ? Personne! La vérité est d’une banalité tellement déconcertante. Quoique…, elle emprunte quelques fois un chemin de traverse et provoque un glissement de terrain, un décalage, délivrant avec pudeur un lien vers l'imaginaire.

Se dérober au réel devient alors une jouissance réconfortante. Pour oublier, je bois. Je bois des mots, je me gave de phrases, je m'empiffre d’histoires. Je m’évade. Les mots? Une porte dérobée, une échappée belle, une ruse pour atteindre le pouvoir de rejeter cette prison mobile.

Connaissez vous La princesse au petit pois ?

Non ? Vraiment? Allons faites un effort, rassemblez vos souvenirs d'enfant. Une princesse si délicate…Un conte de fée, oui, absolument. Des bulles d'enfance remontent à la surface, n'est-ce pas? Je vous rafraîchis la mémoire…

Le prince devait se marier avec une princesse et la reine, pour être sûre que la jeune femme convoitée par son fils fusse une véritable princesse ôta toute la literie de la couche destinée à la princesse pour la nuit et mit un petit pois au fond du lit. Ensuite, elle prit vingt matelas, qu'elle étendit sur le pois et encore vingt édredons qu'elle entassa par-dessus les matelas. Le lendemain on demanda à la princesse comment elle avait dormi. "Bien mal, répondit-elle, c'est à peine si j'ai fermé les yeux de toute la nuit! Dieu sait ce qu'il y avait dans le lit! C'était quelque chose de dur qui m'a rendu la peau toute violette! Quel supplice!". A cette réponse, on reconnut que c'était une vraie princesse, puisqu'elle avait senti un pois à travers vingt matelas et vingt édredons. Quelle femme sinon une princesse pouvait avoir la peau aussi délicate?

Et bien, cette princesse, je vous le donne en mille, je l’ai rencontrée dans le RER. Si, si, juré, croix de bois, croix de fer!

Dans le RER !

Un matin, des mouvements sociaux avaient réduit considérablement le nombre de rames. Conséquence immédiate, la boîte à sardines !

Par chance, je parviens à monter dans le wagon mais ne cherchant pas à m’enfoncer dans la foule, je reste postée à la porte d’entrée en compagnie d’un couple, enfin un homme et une femme, je ne présume pas de leurs relations après tout. La sonnerie retentit et contractant mes abdominaux, je tiens mon sac collé sur mon ventre afin d’éviter l’amputation d’un bras. La rame démarre enfin péniblement comme si elle était plus lourde, comme si elle avait des difficultés à décoller avec toute cette surcharge de voyageurs. Je me colle contre la vitre pour éviter d'écraser mes condisciples ferroviaires et ouvre le livre de poche que j’avais à la main afin de reprendre mon festin livresque …

« Je veux parler de bonheur et de bien-être, de ces instants rares et inattendus où la voix intérieure se tait et où l’on se sent à l’unisson du monde.. » [1]

La femme au dos large me tourne toujours le dos, par ce froid automnal, elle porte un manteau de laine grise et se retourne vers moi en soupirant. Je sens son souffle agacé faire trembler les pages de mon livre. Surprise, je lève les yeux, elle s’est déjà retournée.

Tant pis, je zappe. Je reprends ma lecture et retrouve mon havre de paix.

« … Je veux parler du temps qu’il fait au début de juin, l’harmonie et de repos béat de rouges-gorges… »

La femme m’interrompt à nouveau en me lançant un regard de braise, l’air furieux. Je vérifie que mon sac ne la gêne pas, que je n’écrase pas son pied par inadvertance ou que mon coude ne s’enfonce pas dans une de ses côtes, je ne m’appuie pas sur elle sans m’en rendre compte, tout de même! Non, rien de tout cela, tout va bien. Je ne comprends pas ce qu’il se passe !

« …les pinsons jaunes et de merles bleus filant entre les feuilles vertes des arbres. »

Cette fois elle se retourne un peu plus, enfin ce qu’elle peut car sa mobilité est très réduite et me demande d’arrêter. Arrêter quoi ? Arrêtez de me toucher. Je manque de m’esclaffer. C’est une blague! Exprimer une telle requête dans un wagon bondé! Je reste calme et lui réponds gentiment, je sais que le RER peut rendre fou et cette dame est sans doute claustrophobe, enfin si elle l’était vraiment, elle ne resterait pas une seconde dans un wagon comme celui-ci.

Je la prie de bien vouloir m'excuser en lui disant que nous sommes tous serrés bien malgré nous.

Elle prend un air suffisant, se retourne et poursuit sa conversation.

Quelques secondes plus tard elle recommence le même manège je ne sais plus quoi dire mais elle ajoute: cessez de me cogner avec votre livre! Cette fois, je me retiens de rire, la couverture de mon livre effleure à peine son manteau dont l'épaisseur d’au moins trois centimètres, recouvre sans doute un pull d'une épaisseur identique, un chemisier, un tee-shirt, voire un damart, par ce froid! Comment le papier cartonné d’un livre de poche pouvait-il la déranger à ce point ?

Je suis désolée, lui répondis- je, cela me semble assez difficile de ne pas vous toucher du tout dans les circonstance présentes.

Justement, siffla-t-elle, satisfaite de l'argument qu'elle lançait, fermez votre livre, il y a vraiment trop de monde pour lire!

Oui justement, Madame, rétorquai-je en reprenant ses termes, trop de monde! Je lis pour oublier cette foule, ces incidents sur la ligne et surtout pour masquer la mauvaise humeur de certains voyageurs !



[1] Paul Auster Brooklyn Follies


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