Magazine Journal intime

Réveillon chez Bob (sans la pancarte, mais avec une truite avariée)

Publié le 02 janvier 2009 par Corcky

Ce qu'il y a de bien pratique, quand on organise un réveillon pour des pauvres, c'est qu'on n'a pas d'obligation en matière de qualité (cette assertion est à comparer avec celle qui veut que lorsqu'on organise un réveillon à l'Elysée, par exemple, on ne regarde point à la dépense, mais le problème n'est pas le même, puisque ce sont tes sous, cher électeur lecteur, qui financent truffes, foie gras et Veuve Cliquot).
J'en veux pour preuve le menu proposé le soir du 31 décembre au Foyer, où j'étais d'astreinte et donc bien obligée de participer aux préparatifs culinaires:
- Un champagne de marque totalement inconnue, à peu près aussi goûteux qu'une bonne lampée de Destop, limité à une coupe par personne (pour cause de liaisons dangereuses entre la plupart des usagers et la Dive Bouteille)
- Des kilos de saumon fumé insipide et aussi gras que le fessier rebondi de Maïté (vulgaire marchande de poisson rendue célèbre par quelque émission gastronomique télévisuelle, dans laquelle on la voyait régulièrement étriper des pisces encore vivants tout en nous abreuvant de remarques qui fleuraient bon le terroir)
- Une étrange mousse de canard aux couleurs proches de celles d'un bel arc-en-ciel, qui n'était pas sans rappeler visuellement le contenu de l'assiette d'un chat domestique de la classe moyenne
- Plusieurs dizaines de rôtis de veau ficelés à la hâte et baignant dans l'huile, à la consistance relativement caoutchouteuse et à l'odeur suspecte
- Quelques malheureuses truites certainement pêchées dans une rivière saturée de pyralène, et dont l'ingestion aura sans doute pour conséquence l'apparition d'un troisième oeil, d'un onzième orteil ou, soyons fous, d'un testicule surnuméraire mais totalement improductif chez les messieurs (pour les dames, imaginons une glande mammaire additionnelle  malheureusement couverte d'écailles)
Je passe sur le fromage et le déssert, qui étaient à l'avenant et dont tu n'as pas envie de connaître la provenance.
Je passe également sur les quelques menues altercations qui ont opposé, entre 21h et 3h du matin, certains citoyens fortement avinés, dont une sombre histoire de génitrice comparée à une péripatéticienne, une divergence de point de vue quant au propriétaire légitime d'une bouteille de whisky entrée en fraude, et une bête chute dans l'escalier provoquée par un résident qui n'avait pas apprécié d'être comparé à "un résidu de préservatif de mauvaise qualité ou ayant un défaut de fabrication" (je te fais la version honorable, si tu veux bien), le tout ayant conduit un quidam aux urgences afin d'y subir une réparation de fortune.
Néanmoins, ami lecteur, je vais peut-être te surprendre, mais laisse-moi te dire une bonne chose:
C'est sans doute le plus beau réveillon auquel il m'ait été donné de participer depuis bien longtemps.
Parce que cent-cinquante miséreux de toutes les couleurs, joyeusement attablés autour d'un saumon dégueulasse et d'un champagne râpeux, parlant de la pluie, du beau temps et du postérieur de Carla Bruni en riant aux éclats, on ne voit tout de même pas ça tous les jours.
Parce qu'une jeune maman isolée, qui se meurt du SIDA, venant te prendre les mains avec un sourire radieux, et te disant sans trémolos "vous êtes ma famille" avant de te serrer dans ses bras, on ne voit pas ça tous les jours non plus.
Parce qu'une dizaine de petits Kirikou âgés de un à huit ans, qui galopent joyeusement entre les tables pendant que leurs mères séropositives et sans toit soufflent le temps d'une soirée, et qui se trémoussent sur de la musique africaine jouée par un groupe de Blancs rigolards, ce n'est pas banal.
Parce que Sall, dont je t'ai déjà parlé, vient te prendre dans ses bras et te soulève littéralement de terre, riant et pleurant à la fois,  en te disant que la Préfecture lui accorde une carte de séjour à titre humanitaire et qu'il va enfin pouvoir se balader dans la rue sans craindre que la Maréchaussée ne l'embarque manu militari vers quelque charmant centre de rétention.
Parce qu'Abdou t'apprend, quelques minutes plus tard, que sa greffe de rein est confirmée pour le quinze janvier, et que dans la foulée, il vient de trouver un logement HLM (Marraine la Bonne Fée a dû abuser de l'alcool de prunes, je ne vois que cette explication).
Parce que tu vois monsieur G, que tu connais déjà, décliner poliment la seule et unique coupe de champagne proposée ce soir-là, lui qui préfère se rabattre sur le jus d'orange insipide et le soda hyperglucosé, parce qu'il n'a pas touché une goutte de bibine depuis presque un an, et qu'il a bien l'intention de continuer à dire merde à JB, à Smirnoff et à Dillon.
Parce que tout le monde danse, les Blancs avec les Noirs, les Arabes avec les Chinois, les adultes avec les gosses et les travailleurs sociaux avec les clodos, un chaleureux Bal des Gueux et des oubliés, dans un joyeux bordel et une cacophonie qui te ferait presque comparer Chimène Badi à du Chopin.
Il me fallait bien ça, ami lecteur, pour oublier, le temps d'une soirée, ma légendaire misanthropie et retrouver, même temporairement, quelques miette de foie foi en l'homo sapiens sapiens.
Allez, Lech'aïm, et bonne année, happy new year, feliz año nuevo,
prost Neujahr,  sana saiida, shana tova,  akemashite omedetô, xin nian hao et tutti quanti.





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