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Le strass ou "bling me"

Publié le 26 janvier 2009 par Michelgutsatz


Le strass est à l’honneur. Nous sortons de la période des fêtes de fin d’année, occasions traditionnelles où il faut briller sous les lumières et le strass y a été omniprésent.. Il est devenu un élément indispensable dans la panoplie des gens qui établissent les tendances.
Le mot strass apparait en 1746 lorsque le joaillier strasbourgeois, Georges  Frédéric Strass (1701-1773) invente une pâte de verre transparente qui, grâce à un pourcentage de plomb pouvant dépasser 50 %, possède un très haut indice de réfraction et qui lui donne un éclat proche de celui du diamant. Il est utilisé depuis lors pour la confection de bijoux de fantaisie imitant les pierres précieuses.

De l’utilisation traditionnelle pour les bijoux fantaisie et les lustres, la verroterie envahit désormais notre vie quotidienne. La technologie aidant, le strass se coud, se colle, se monte. Il s’applique aux vêtements, et même directement sur la peau sous forme de tatouages ou sur les ongles.

Une des applications les plus innovatrices et surprenantes est le « grillz » qui nous vient du monde des rappeurs. C’est tout simplement une décoration des dents, un dentier qui peut être décoré avec diamants, argent, or, et bien sur strass. L’usage de ces petits cristaux s’étend rapidement aux accessoires, sacs à mains, chaussures, lunettes, téléphones portables, flacons, montres à partir de 20 euros, menottes pour la saint Valentin… 

Des objets pour la personne aux objets de maisons, il n’y a qu’un pas. De nombreux meubles et lampes incorporent le strass. Chaises, canapés, cadres pour photos, tasses, couverts, casseroles, consoles de jeu, lecteurs de disques et même des meubles pour salle de bain comme cette superbe cuvette sanitaire en porcelaine incrustée de cristaux, proposée par Swarovski à 75 000 euros.

Mercedes propose au salon de Tokyo  2009 une SL 600  parée de 300.000 cristaux Swarovski. Plus discrètement, le traitement peut être applique aux seules jantes ou au navigateur.

La force de la tendance est telle qu’elle atteint des domaines où la concurrence était jusqu’alors de nature purement technologique. Le corps de l’appareil photographique Pentax K-m digital SLR lancé en septembre dernier, est couvert de milliers de cristaux blancs rouges et noirs du plus bel effet et positionne clairement le produit vers une c
lientèle féminine. L’Olympus Mu 1040 est plus discret dans le même registre.


 
 


Les raisons de cette fièvre sont multiples :

  • Rien n’aurait été possible sans les avancées technologiques qui ont permis de proposer des cristaux de qualité en termes de taillages et de couleurs à des prix abordables. Swarovski en particulier a fondé son succès sur cet aspect technologique grâce a l’invention de techniques de taillage et de polissage dès 1895. Mais ce sont surtout les innovations technologiques permettant l’application des cristaux sur des matériaux nouveaux qui alimentent le phénomène de mode actuel et qui sont en grande partie responsable du succès de la marque Swarovski. On peut citer Crystal Mesh, matériau de cristaux tissés entre eux introduit par la marque en 1993 et utilisé par Louis Vuitton, Dolce & Gabana et Chanel, ou Crystal Fabric inventé en 2003, matériau élastique et indéchirable qui contient 1 million de cristaux au m2.
  • Ces technologies ont permis l’apparition de nouvelles utilisations du strass. Sur les tissus, le cuir, la porcelaine pour les marques; sur la peau, les ongles, les dents pour les individus. Elles ont surtout permis la personnalisation des produits et des personnes. Ce besoin de décoration de soi-même et de son environnement s’inscrit dans le mouvement de fond postmoderne de l’esthétisation de notre vie quotidienne et des produits de consommation en particulier. Cela ne signifie pas nécessairement des produits plus beaux, mais plutôt des produits dont l’aspect visuel, tactile et sensoriel a été sujet d’une attention particulière.
  • Si l’affaiblissement postmoderne des grandes idéologies pousse souvent vers un hédonisme effréné, la crise économique actuelle et son cortège d’incertitudes accentuent le besoin de faire la fête. Le diamant et  le strass, son ersatz, sont symboles des fêtes nocturnes. Leurs éclats ont besoin de la nuit et des lumières artificielles pour se révéler dans toute leur magnificence.  Ces petits morceaux de verre étincelants, désormais omniprésents dans notre vie quotidienne, continuent d’y exhaler leur parfums festifs et allègent le poids des réalités.
  • La culture « bling bling » des rappeurs américains et leur gout pour le luxe ostentatoire ont contribué énormément à la diffusion  de l’utilisation du strass.   Le « grillz » en est l’exemple le plus frappant.
  • L’avènement du luxe intermédiaire dans la consommation a aussi fortement favorisé l’utilisation du strass. Dans ce secteur, la règle est de pouvoir donner l’impression d’exclusivité et de luxe à un produit qui soit accessible à un maximum de consommateurs. Un imaginaire réservé à quelques privilégiés est soudain, par extrapolation et alchimie communicative et/ou technologique, transposable à la multitude. C’est la stratégie du luxe intermédiaire: une impression d’accès au luxe pour tous et pour pas cher.
  • Le strass, imitation du diamant, exploite directement les vertus de l’imaginaire du diamant: fortune, séduction, beauté, plaisirs, pouvoir, aventures,… Valeur économique, cadeau symbolique, preuve de l’efficacité de la séduction féminine, la nuit, le monde du spectacle, les stars, être soi-même une source de lumière, l’éternelle jeunesse, … Les adjectifs qui commencent par le lettre m : magnifique, munificent, majestueux, mirifique, … Des légendes et des mythes : les bijoux de la couronne, le trésor des pirates, Edmond Dantès, Marylin, … On en arrive à se demander pourquoi il y a fallut attendre le succès des rappeurs pour se décider à exploiter ce filon.

Cela nous ramène à la nature profonde du phénomène. Le strass est surtout un symbole du paraitre, une icône de notre temps, d’une civilisation de fantaisie (comme les bijoux), superficielle, où « faire comme si » est souvent la règle du jeu entre marques et consommateurs et où les désirs les plus fous sont travaillés par l’image.

L’axe sémantique être / paraitre, pertinent au moment d’analyser notre culture de consommation et le carré sémiotique de la véridicité qui en découle, rendent compte schématiquement du positionnement des produits authentiques et de leur imitation. Le luxe intermédiaire et le strass en particulier, se situent sur le côté droit vertical du carré, là où règne le besoin d’imitation de classes sociales, de tribus ou de personnages. Le carré permet aussi de montrer comment le luxe intermédiaire est un fait une des sous-catégories du luxe ostentatoire.  

Et puis les ersatz prennent une vie propre. L’omniprésence du succédané finit par faire oublier l’original ou tout du moins brouille les frontières. Beaucoup de clients de Vuitton pensent que la toile monogramme est en cuir. C’est une des sources des problèmes que subit actuellement Swarovski. Une partie du marché leur reproche, sous couvert d’un positionnement dans le monde de la mode, de vouloir faire passer des bijoux de cristal pour autre chose que ce qu’ils sont et donc les vendre très cher.
J’ai peine à croire que le phénomène de mode lié au strass s’inscrive dans la durée. Il y a trop besoin d’authenticité aujourd’hui pour que la verroterie ne soit pas autre chose qu’une passade. Je crois plutôt que les avancées technologiques dans le traitement des surfaces (nanotechnologies par exemple) nous proposent bientôt des effets visuels nouveaux et spectaculaires.


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