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Fils

Publié le 30 janvier 2009 par Zoridae
Omar
"Alors elle m'a nouée un drap autour du ventre en serrant très fort. Et puis, elle s'est couchée sur moi et elle m'a planté son coude dans les côtes. J'ai hurlé. ensuite, je ne sais pas ce qui s'est passé, je ne voyais rien à cause du drap et mon mari n'était pas là - il n'a pas le droit de regarder ça - mais elle a dû toucher la vessie en coupant parce qu'après ça coulait sans arrêt. J'étais obligée de mettre les couches de mon fils à la maternité. Et pour tout vous dire, les rapports, après je ne pouvais plus, parce que ça coulait au moindre contact. Ça coulait, ça coulait...
Quand j'ai revu mon gynéco, un mois après l'accouchement, il m'a dit que je devais me faire opérer, que ça ne prendrait qu'une semaine. Mais je ne pouvais pas. Qui aurait gardé mon fils pendant ce temps ? Et puis je l'allaitais, il n'avait qu'un mois... Maintenant, il a quatre ans - déjà - il faudrait que j'aille à l'hôpital. Mais moi qui aurais voulu un troisième enfant, c'est fichu..."

Siegfried
Elle a voulu garder l'enfant alors qu'elle était seule, psychotique et âgée de quarante trois ans passés. De sa voix rauque de fumeuse, elle s'est vantée de tout ce qu'elle pourrait gérer quand il serait là, de tout ce qu'elle allait maîtriser, surmonter, oublier.Elle s'imaginait accoucher d'un fils adulte qui prendrait soin d'elle comme aucun homme n'avait su le faire, qui l'écouterait et la trouverait formidable. Elle était sûre qu'en sa compagnie les voix qui résonnaient parfois dans sa tête, prétendant lui dicter son comportement, demeureraient silencieuses ou seraient couvertes par les babillages heureux de son fils.
Bien avant la naissance, balayant sous le berceau, elle regardait, au milieu des moutons de poussière, le souvenir de sa mère dépressive et de son père mourant se déliter ; elle éternuait. Puis, elle prenait soin de recueillir grâce à sa balayette et sa pelle, les fragments de son passé jusqu'au dernier. Après les avoir bercés sur ses genoux et leur avoir crié ce qu'elle avait sur le cœur, elle les balançait sauvagement dans les W.C. et tirait la chasse. Bientôt, elle n'en doutait pas, tout cela serait derrière elle parce qu'elle allait mettre au monde sa propre vie.
Une chose l'avait toujours fascinée chez les bébés de ses amies c'est le regard aveuglé qu'ils portaient sur leur mère. Pour le reste, elle se contentait de les croire lorsqu'elles disaient que personne au monde ne leur avait donné autant d'amour.

Quand a-t-elle réalisé qu'elle se leurrait ? Au moment où elle a annoncé sa grossesse et n'a vu que des visages consternés, entendu que des mises en garde, des doutes et des peurs ? Personne ne voulait admettre sa transformation, personne ne croyait aux promesses d'avenir qu'elle scandait comme des prières. Alors qu'elle rêvait d'apercevoir dans les pupilles de son public familial l'être nouveau qu'elle abritait, c'est son image, de guingois, qu'on lui renvoyait toujours.
Ils avaient raison et c'est cela qu'elle supporte le moins. Samedi elle
a craqué. Le gosse la dévisageait, il attendait qu'elle s'occupe de lui. Il lui tendait les bras en geignant. Ses excréments commençaient à maculer les jambes de son pyjama car elle ne l'avait pas changé depuis le vendredi soir. Pourtant, il savait que le porter lui faisait mal au dos : elle le lui avais encore dit cinq minutes auparavant ! Il savait, aussi, qu'elle était fatiguée ; il devrait quand même avoir compris le message puisque depuis qu'il est né, elle le répète.
Les voix lui ont annoncé que Siegfried comprendrait mieux si elle ponctuait ses paroles. Elle a cédé, elle n'en pouvait plus de leur résister.
Alors elle a lancé les couches propres au dessus du parc et quand il n'y en a plus eu, elle a vidé la poubelle pour lancer aussi les vieilles couches sales et les ordures. L'enfant était devenu silencieux, il paraissait tapi au milieu de ses jouets mais les voix prétendaient que le message n'était pas passé
, les couches faisaient plop sur le mur c'était presque amusant et les voix murmuraient "bientôt lui aussi va se moquer de toi !". Elle a donc essayé avec les assiettes. Ça lui évoquait des boomerangs sauf que les siens, de boomerangs, s'écrasaient contre les murs. Elle a essayé tous les murs et seuls quelques verres ont rebondi après avoir heurté la porte d'entrée. L'un d'eux est tombé dans le parc mais l'enfant n'a rien dit. Il avait fermé les yeux et il ne bougeait pas, comme s'il dormait. Sarah songea aux heures qu'elle avait passées à le bercer, à le calmer et elle s'est sentie profondément en colère qu'il puisse s'endormir comme ça.
Quand les flics ont frappé à sa porte, ils ont vérifié que l'enfant allait bien et ils sont repartis. Ce n'est que le lendemain, après l'avoir arrêtée au milieu de la nuit, seule et désorientée en pleine rue qu'ils ont trouvé les couteaux et les bidons de javel lacérés. L'enfant sale, laissé livré à lui même dans son parc a été accompagné à l'hôpital puis placé en pouponnière.

Jimmy
Découvrez Moriarty!


(A suivre)

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