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Il est l’heure

Publié le 01 février 2009 par Unepageparjour

Début de Kira B. Wassa

Il est l’heure. Nous arrivons au Lune Bleue. La lumière de l’enseigne tombe sur l’asphalte de la rue en petites flaques fluorescentes, aux rives imprécises, sans profondeur, dans lesquelles je m’amuse à sauter, à pied joints, comme pour m’éclabousser de poussière de rêve. A l’entrée, massif, le front buté, les yeux fixes et sans âme, le physionomiste ne me regarde pas. Un point de l’horizon, invisible, semble attiser toute son attention. Il m’ignore. Je remarque que la peau de sa nuque, derrière son col, remonte en trois plis, bien rasé. Je pense à un yack, avançant avec nonchalance dans des sillons gras.

Kira ! Kira !

Caché dans l’ombre, à l’écart des lueurs bleutées de la grosse lune suspendue, Sergueï me fait signe. Je lui demande si Oksana peut nous accompagner. Il hésite, la jauge du regard, de la tête au pied. Puis il acquiesce, sans mot dire. Il nous entraîne à l’arrière, dans la ruelle qui longe le bâtiment et s’enfonce dans la nuit. Des chats vagabonds s’enfuient en criant devant nos pas. Il nous arrête devant une porte minuscule, dont le battant grince sur notre passage, et nous entraîne dans un corridor étroit, qui empeste l’huile mainte fois réchauffée, puis, enfin, dans une chambre au décor démodée, meublée d’une armoire aux glaces coulissantes, d’une commode basse et d’un lit.

Derrière, vous avez une douche et des toilettes, fait-il en nous désignant du menton un vague rideau rose, brûlé par endroit de ronds de cigarettes.

Pourquoi un lit ? dis-je en m’asseyant.

Oksana  s’exclame :

Si jamais nous sommes complètement pétées, nous pourrons dormir !

Sans prêter attention à la remarque ironique d’Oksana, Sergueï ouvre l’armoire, et me présente une robe de satin rouge suspendue sur un cintre. Je la reconnais. J’avais effectuée quelques poses pour les photos de Wladimir, habillée ainsi, debout près d’une grande table, recouverte d’une nappe damassée. Un bouquet de roses éclatantes jaillissait d’un vieux vase chinois. Les spots brûlaient mes joues. Et je glissais sur le parquet dans de minuscules mules de soie rouge.

Je fouille dans le bas de la penderie, mais je ne vois pas les mules. Je m’en étonne. Sergueï hausse les épaules. Des mocassins noirs semblent faire l’affaire, selon lui. Il n’a pas la classe de Wladimir, le goût du beau, de l’esthétisme, de la pureté. Il nous laisse, en nous demandant de ne pas bouger jusqu’à son retour. Nous nous mettons l’une et l’autre au garde à vous, comme de fières cosaques, et pouffons de rire.

La pièce semble à peine chauffée. Je frissonne et la peau de mes cuisses frémit, lorsque je retire mon jean. J’ai la chair de poule. Oksana me regarde, moqueuse. Elle découvre ma culotte de flanelle blanche, piquée de myosotis et part dans un nouveau fou-rire. Secouée de toute part, haletante, elle parvient à me glisser, entre deux hoquets d’hilarité :

Tu aurais quand même pu enfiler un string, non, pour un jour pareil !

Vexée, je lui lance mon jean à la figure, et je me précipite sur elle, la ceinturant et la jetant sur le lit. Malgré son rire, elle se débat, résiste à mon étreinte, souple comme une liane vivante et reprend le dessus, puis nous tombons l’une sur l’autre, enchevêtrée dans les nuages des édredons. Nos chevelures se mêlent, nos souffles ne font qu’un, nos peaux s’unissent. La bataille nous réchauffe.


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