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Une maison face au nord

Publié le 11 février 2009 par Orage
Une maison face au nord
Guy Migneault - Louisette Dussault
© Photo Sylvain Dufour

Une maison face au nord

Le Quotidien
Arts, samedi, 31 janvier 2009, p. 21
Une maison face au nord Un privilège pour le spectateur
Christiane Laforge
Un grand moment! La création de la pièce Une maison face au nord, le mercredi 28 janvier à Jonquière, aura été un privilège.
Joyeux trentenaire, a su dire le dramaturge Jean-Rock Gaudreault au Théâtre La Rubrique en leur offrant cette pièce à mettre au monde. Un public ému, amusé, conquis par la beauté d'un texte superbement porté par des comédiens impeccables dans leur jeu.

La pièce

Avec tendresse, avec humour, avec doigté, Jean-Rock Gaudreault a su raconter les saisons de toute une vie, en brossant subtilement le portrait social, économique, politique et familial d'un couple.

Mieux encore, il a campé son histoire sur les flancs de Chicoutimi surplombant la rivière Saguenay, risquant des détails précis - la rue Racine, le Progrès-Dimanche, Place du Royaume - sans y enfermer son texte. Il ne serait pas impossible d'adapter la géographie du récit à d'autres régions semblables, car le propos demeure universel.

Une maison face au nord
Guy Migneault - Louisette Dussault
© Photo Sylvain Dufour

L'auteur s'insinue dans le cœur d'un couple en fin de parcours, mettant à nu les traces de leur existence : le chagrin inconsolé de l'enfance, les grandes illusions amoureuses, les souvenirs heureux d'une maison pleine des cris d'enfants turbulents, le dur labeur pour gagner son pain, la confrontation à leurs préjugés face à l'étranger, les désillusions politiques, l'éloignement des enfants. Tissé dans les nuances de ces confrontations de la vie, leur présent est la somme de joies et de tristesses qu'ils affrontent chacun à leur façon.

" Ça m'a pris rien qu'une heure pour faire le tour de c'que j'ai ramassé pendant toute une vie, déclare Henri. Quand tu dis que toute ton histoire est là, sur des étagères ; tout c'qui a servi à bâtir des centaines de maisons, pis d'garages... Y a pas un coin d'la région où j'ai pas travaillé. Ben, dans a rue pour m'en r'venir ici, tout avait l'air de s'écrouler. Là, j'ai eu pour mon dire : "Mon vieux, tout ce qui t'entoure est en train de sacrer l'camp, pis t'en fais partie."


Une maison face au nord
Guy Migneault -
A.-J.Henderson

© Photo Sylvain Dufour

Le jeu
La force du texte prend toute son ampleur par la voix des comédiens. On les croirait taillés sur mesure, tous indistinctement, pour les mots qu'ils portent avec brio.
Il aurait été si facile de pousser un peu trop dans la caricature, de jouer grossier ou mélodramatique. Rien de tel. Tout est crédible, mesuré, tantôt drôle, tantôt émouvant. Il fallait une direction habile pour saisir la grandeur de ce qui semble petit.
Guy Mignault (Henri) maîtrise bien les nuances de ce personnage tout d'une pièce, au caractère tranchant, bourru, épris de son pays et si meurtri par les humains. "Quand j'me suis rendu compte que mon rêve était en train d'me mentir, j'me suis réveillé carré" lui fait dire l'auteur, confiant à ce personnage les répliques les plus percutantes : " On fera pas notre pays. On l'aura pas pis, pour moi, ça va rester une des grandes peines de ma vie. Comme si il y avait une promesse que j'avais pas tenue. Rien que d'en parler... C'est comme si j'avais hérité d'une sorte de colère... "


Le propos semble politique, mais le ton révèle davantage la complexité d'une société qui ne retrouve plus ses balises. Les liens avec le savoureux Larry (A.-J.Henderson) qui absorbe toute la poésie d'Henri, lui retournant sa manière de voir en disant : "C'est toujours spécial la première neige, hein ? La lumière... L'odeur... C'est comme si la terre était prise par surprise."
Une maison face au nord
Guy Migneault - Marcelo Arroyo

© Photo Sylvain Dufour

La relation filiale qu'établit Henriquez (Marcelo Arroyo) avec son enthousiasme naïf : "Le Canada, c'est le paradis pour mes enfants". Deux exemples d'une capacité d'accueil sans nier celle du rejet. Le paradoxe.
Un paradoxe qui se devine dans le sentiment amour-haine à l'égard du pays, dans la tendresse-colère envers des enfants qui n'ont pas réalisé les rêves que l'on a faits pour eux et l'affection-rancune marquant les rides du couple. Louisette Dussault rend bien la nature complexe et contradictoire de la femme si résistante qu'elle se casse dans la tempête, chêne ayant tout à apprendre du roseau.
Une maison face au nord
Guy Migneault
© Photo Sylvain Dufour
Mise en scène
L'ingéniosité des décors permet d'alterner entre plusieurs lieux... et de nous convaincre de les voir tels que décrits. La mise en scène impose un rythme qui, s'il semble parfois trop lent, laisse respirer les répliques qui, sous l'apparente simplicité du langage, sont chargées d'un contenu intense qu'il faut prendre le temps d'absorber.
Entre chaque tableau, le lien musical et les effets sonores, cris des outardes ou chant d'oiseaux, créent une sorte de rupture, un temps d'arrêt. Sur le moment, on le perçoit comme un choix nécessaire pour passer d'un décor à l'autre, au risque de rompre l'intensité de l'envolée oratoire. Impossible d'y trouver une alternative et, avec le recul, cette impression de coupure dans le rythme s'estompe, devenant plutôt un temps suspendu utile au changement d'ambiance voulue. À la finale une ovation bien méritée !
Une maison face au nord
Guy Migneault
© Photo Sylvain Dufour

"La Maison face au nord" de Jean-Rock Gaudreault, mise en scène de Jacinthe Potvin, coproduction de La Rubrique, du Tandem et du Théâtre français de Toronto, à l'affiche de la salle Pierrette-Gaudreault de Jonquière jusqu'au 14 février.
À voir absolument !
© 2009 Le Quotidien.
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