Magazine Journal intime

Donne nous ... (12) - Sortie de route

Publié le 12 février 2009 par Audine
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Pourtant je reste persuadé que je l’avais serré, ce putain de frein.

Je rentrais de chez une nana, l’Ipod vissé dans les oreilles. De temps en temps, petites expéditions, et Marie Ange elle faisait semblant de rien voir et rien savoir. Je crois qu’elle s’en foutait total. Certaines nuits, je mettais un tee shirt pour camoufler des traces trop voyantes et basta. Pas la peine de provoquer non plus.

J’t’assure à ce moment là, je bandais quand j’voulais.

Ma queue était branchée direct sur mon cerveau, via les yeux. Je voyais, je voulais, je bandais. Un truc du genre ouvrir une canette quand tu as l’idée que tu pourrais avoir soif.

La bagnole a glissé sur le chemin le long de la maison, elle a filé droit direct dans la piscine. La première margelle lui a fait lever le nez qui est venu se poser sur la margelle opposée. Les roues avant baignaient dans l’eau, en enfonçant la bâche.

Ca a été le bordel pour la sortir de là. Il a fallu trois tentatives, le premier camion grue ne passait pas sur le chemin, le deuxième n’avait pas la capacité de soulever la bagnole. Tu ne pouvais pas la tirer par l’arrière sinon le nez plongeait complètement dans l’eau, il fallait lui passer des sangles dessous et la soulever verticale.

Après ça Marie Ange a décidé de foutre le camp. Elle a cru bon d’expliquer, tout ça, et puis elle a dit que l’accident avait été la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. Que ça aurait pu être dramatique et écraser un enfant. Si on en avait eu. J’ai ricané longtemps, je n’arrivais pas à m’arrêter, je hoquetais, la voiture qui fait déborder la piscine tu veux dire. Elle m’a jeté pauvre type et elle est sortie de la chambre, je l’ai même pas regardée, j’serais incapable de te dire comment elle était habillée.

On avait une baraque qui avait fait la culbute, tu vois les nouvelles résidences là.

Je l’ai vendue, le 4X4 aussi, puis j’ai pris cet appart, le truc typique de célibataire.

J’crois que j’ai essayé de devenir minéral.

A la boite, la promotion n’avait pas attendu que je sorte de ma dépression, on m’a recasé avec un bureau dans le fond. C’est à peine si je me supportais moi.

Je ne ressentais rien.

Machinal Machine Man.

Un jour, une étudiante m’a arrêté pour un sondage, à la sortie du centre commercial. Une fille avec des longs cheveux blonds, des yeux de velours, la nana top quoi, un petit cul d’étudiante et un débardeur d’une innocence étudiée, aussi.

J’ai décidé que je la voulais. Faut être volontaire, je me suis dit.

Ca a bien pris vingt minutes son questionnaire. Il était anonyme, mais je lui ai filé mon adresse et mon numéro de téléphone, avec mon pauvre sourire même plus carnassier.

Et elle est venue.

Mais j’ai bloqué. Pourtant je vais te dire, c’était une vraie blonde, elle était gentille, de bonne volonté, mais rien tu vois, nada, personne à l’appel. Ma queue avait décidé de faire sa vie, une vie de végétal.

D’abord l’étudiante m’a dit ça fait rien ça arrive, et je lui aurais bien répondu qu’est ce que t’en sais connasse mais je suis resté correct. Après, elle m’a dit faut que j’rentre, et je lui ai éructé c’est ça tire toi pétasse.

Le roi des gentlemen.

Puis Clarisse est venue pour l’aménagement de l’appart.

Elle est arrivée à l’heure. Petite, boulotte, les cheveux dans tous les sens, la quarantaine bien tassée. Elle a fait le tour de l’appart en notant des trucs sur son calepin. Je l’encombrais, chaque fois dans le passage, je ne savais pas trop où me mettre et je suis resté aussi muet qu’un porte manteau. A la fin, comme elle m’a dit qu’elle reviendrait présenter le devis et m’expliquer les démarches et elle m’a tendu sa carte. Je l’ai lue et je ne sais pas pourquoi, je me suis mis à beugler, haha, Clarisse Lelion, et je la regardais en louchant. Elle a répondu ben au moins vous savez lire. Et elle est partie en claquant les talons et la porte.

Pour me faire pardonner et parce qu’il fallait bien que j’avance dans ce putain d’aménagement, je suis allée lui porter un pot de jacinthes blanches, les roses en bouquet, j’ le sentais pas. Elle a rougi, j’étais content de moi, puis elle a dit oui mais vous n’allez pas vous en sortir à si bon compte, vous êtes obligé d’accepter un dîner chez moi.

Comme en matière diététique j’étais devenu balèze en comparaisons entre Marie, Knorr, Fleury Michon et Carrouf, j’ai lancé ça se pourrait. Comme on saute à l’élastique devant les copains de lycée qui disent t’es pas cap.

Je me suis dit que j’avais fait exprès de ne pas prévenir avant de débarquer, mais maintenant, je sais qu’il fallait que j’y aille sur un coup de tête, sinon j’y allais pas. Bleue était ma peur, ma couleur, mon étendard, mon étang d’art …

Je suis arrivée chez elle avec un Madiran, ça sentait la pomme cuite, et elle m’a dit, tu tombes bien, j’ai fait une tatin. Elle était en caleçon avec un long pull, et à ses pieds, elle avait des espèces de chaussons fourrés à tête de lapin.

Merci qu’elle a dit en prenant le Madiran, qu’est ce que tu veux, elle a ajouté en ouvrant la porte d’un vague buffet de cuisine qui a gémit, j’ai du Martini blanc et … du Madiran. J’ai opté pour le Martini.

J’étais là à le siroter, en face d’elle, dans la cuisine, il faisait chaud, et elle a sorti une botte de radis, a étalé une double feuille du journal d’info de l’agglo, et s’est mise à gratter et préparer les radis. Elle avait son vernis à ongles qui s’écaillait et ses doigts commençaient à rougir avec la peau des radis qu’elle grattait. Un chat est arrivé en miaulant, elle a mis un radis tout près en bord de table, il a pris son élan et il a attrapé le radis, a mordillé dedans puis il l’a regardée en miaulant avec des yeux plein de reproches, alors elle a mis une fane, et il a recommencé son manège. Au bout de trois feuilles consommées, il est venu roucouler sur mes cuisses.

Après elle a mis à bouillir une grande casserole d’eau salée, a plongé des spaghettis. Elle a fait dorer un oignon, le chat a fichu le camp. Elle a ajouté de la viande hachée, puis  des tomates pelées et épépinées, et des herbes diverses.

Ca sentait bon, il faisait chaud et humide et je serai bien resté toute ma vie là.

On est passés à table dans le salon. De temps en temps, elle s’essuyait la bouche avec un Sopalin en guise de serviette en me souriant.

Elle m’a raconté un peu sa vie. Je me souviens d’un passage où elle m’a raconté le contrat qu’elle avait fait à l’hyper du coin. Elle était « surveillante de caddies ». Tu le crois ça ? Ils trouvaient que beaucoup trop de clients renonçaient à leurs achats en abandonnant le caddie en partie plein dans les allées. Clarisse devait tout remettre en place en rayon et rapporter le caddie, elle avait une prime suivant le nombre de caddies rapportés.

Elle s’est levée pour aller chercher la tatin.

Quand elle est revenue, j’étais vent debout, je bandais comme un âne, et putain, il n’était pas question qu’elle aille se rasseoir, parce que j’étais Moïse devant la Mer Rouge.

Elle a posé la tatin et m’a souri, puis elle s’est approchée, je l’ai choppée et on a fini la tatin tout au long de la nuit.

Alors tu vois, bidule est bandante, pas bandante … Tout ça c’est des conneries.

Et ma vie, elle n’a pas changé à partir de l’accident.

Elle a changé à partir de Clarisse.

Quand je lui ai raconté le 4 X 4 qui m’est passé dessus, elle n’a pas tiqué. Pour tout le reste, elle m’a dit, mais t’étais vraiment un sale con. J’ai de la chance de t’avoir connu que maintenant, qu’elle a conclu en enjambant le fauteuil roulant pour me grimper sur la queue.

Voilà comment elle est, Clarisse.


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