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En entendant quelques mots à la télévision

Publié le 13 février 2009 par Cameron

C’est Danielle Sallenave qui le dit, et de fort belle manière : la lecture est une chambre d’échos.

L’expression m’a fait redresser la tête, je dois dire. Une chambre d’échos, en deux termes rapprochés, voici soudain l’un des effets banals de la lecture qui résonne, poétiquement parlant, comme une révélation. Mais si l’on admet que tous les livres lus au cours de notre vie continuent de parler bien après avoir été fermés, qu’ils dialoguent entre eux au-dessus de nos têtes, et bien plus profond dans nos cœurs… oui, si tout cela est vrai, qu’en est-il des voix ainsi perçues ? Sont-ce des souvenirs ? Qui se mêlent à ceux que nous conservons des vivants ? Il m’arrive, il m’arrive très souvent de sentir monter en réplique une phrase entière retenue je ne sais plus quand, lue je ne sais plus dans quoi. La mémoire a de ces fantaisies, et comme elle se construit par substrats concomitants, elle se perd elle-même à vouloir trop retenir. Les mots lus sont pourtant là, ils me parlent, ils parlent aussi à ma place, ils fournissent à une pensée peu construite l’armature de leur victoire imprimée. Je les ai donc reconnus miens, à un instant quelconque. Savent-ils que je suis leur, pendant ces secondes brèves ? Mais sans doute ne l’ai-je jamais été, des leurs, de leur descendance, pas vraiment, pas comme si je les avais écrits moi-même. Ce ne sont que des souvenirs, vivaces certes, mais des souvenirs de mots. Des fantômes de mots. Et je me demande où est ma propre voix, dans ce fleuve épais qui charrie tant de phrases appartenant à d’autres. Je me demande si j’ai une voix.

La lecture est donc une chambre d’échos. Dans laquelle les livres et leurs auteurs poursuivent leur dialogue à travers chacun d’entre nous. Il devrait y avoir un signe extérieur à cette habitation partagée qu’est la mémoire de chaque lecteur, une enseigne au néon, peut-être, un gyrophare, quelque chose de bien clinquant en tous cas. Nous saurions qui parle en nous ou à travers nous. Je crois que ça peut rendre fou, l’écho. A moins d’être étouffé par un écho plus puissant encore, l’écho d’un gong, d’un cri, l’écho d’une rage, oui, une rage. La mienne. D’être lectrice, et lectrice d’obsessions, oui, ça me met en rage. Est-ce que ma rage est plus forte que les mots des autres ? Non, sans doute. Et d’ailleurs, de quel droit le serait-elle ? Quand donc mes mots ont-ils affirmé assez fort pour faire de la chambre d’écho leur alliée ? Peut-être un jour, de tous les mots qui logent ma mémoire seront-ce les miens qui résonneront le plus fort. Peut-être, peut-être pas, mais ce n’est pas si grave : j’ai tous les autres pour parler à ma place. Je ne sais pas si la lecture est une chambre d’échos, mais je sais que ma mémoire, elle, en est pleine, de ces redoutables échanges d’autres que moi au-dessus de moi. Et, finalement, c’est mieux que rien.


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