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Ce soir deux australiens bronzés

Publié le 15 février 2009 par Unepageparjour

Début de Kira B. Wassa

Ce soir deux australiens bronzés, aux épaules de surfeurs, les Craig, père et fils, identiques, si ce n’est les traits burinés, plus marqués chez l’un que chez l’autre. Même démarche, même regard, même expression. Je les trouve touchants, et je me prends à suivre la conversation d’un peu plus près que d’habitude. Il est question de yachts de milliardaires, de livraison à l’automne, de bois précieux à charger en Afrique, à livrer en Inde, chez les artisans du Kerala. Nos hommes passeraient une commande de six unités. Je mélange les chiffres dans les bulles de champagne mais je ne me couche pas. J’attends B. Les négociations semblent plus aisées que d’autres soirs. De mon bain aux senteurs de roses, je distingue les adieux, les « top-là », l’affaire parait close. A peine rincée, je me glisse dans mon peignoir de soie claire et, légère, douce, aérienne, je retourne au salon. Il est là, le regard clos, prostré sur le canapé, presque endormi, déjà. Je m’assois près de lui, contre lui, du plus près que je peux, posant ma tête sur son épaule.

Le silence s’écoule avec lenteur, tandis qu’une chouette hulule, au loin.

Sa respiration régulière me soulève, et m’abaisse, d’une manière presque imperceptible. Les mots tournent dans ma tête, mais j’oublie d’en construire des phrases. Comme des ronds, des gouttes épaisses et élastiques, ils tombent de mon esprit, un à un, muets. Enfant, père, famille, bonheur. Des mots doux. Des mots puissants, dont j’avais tant rêvée, au bord du fleuve bleu.

Ma main posée sur sa cuisse s’ankylose. Je dois remuer les doigts, sous peine de crier. Ma nuque me tire. Ma tempe se creuse sous le coin de son épaule. Je bouge. Ses paupières s’ouvrent, comme un volet qui claque dans la nuit. Je tressaille. Je souris.

Tu sais, dis-je, ces deux australiens. Qu’ils étaient mignons, le père et le fils. Si ressemblant. N’as-tu jamais pensé conduire un fils sur les chemins de la vie ? Sur les pas que tu traces ? Sur les idées que tu construis ? Un petit homme d’abord, fragile, que tu guiderais, main dans la main. Qui deviendrait fort, ton égal, plein de sagesse, un allié indéfectible sur qui compter, dans les combats, les soirs de victoire, comme les nuits de défaites ? Un ami pour la vie ?

Lentement, son visage se tourne vers moi. La fatigue, ou le vide, je ne sais pas. Un visage gris.

Je ne veux pas d’enfant.


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