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Parlez-moi anglais, je répondrai peut-être

Publié le 18 février 2009 par Isabelle Debruys
J'ai accepté la proposition la plus classique: on est dans un hôtel, dans le beau salon d'un bel hôtel, près d'une fenêtre, moi dans un fauteuil confortable, l'oeil irrésistiblement attiré par l'extérieur. Ce n'est pas qu'il m'ennuie, ce jeune homme, c'est que c'est inévitable: il va me poser des questions. Je perçois une forme sur ma gauche, quelqu'un va prendre des photos, et c'est plus fort que moi, je tourne légèrement tout le buste pour lui présenter mon dos. C'est enfantin, je sais bien qu'il ne va pas se laisser faire, mais je n'y peux rien: j'ai horreur qu'on me prenne en photo, d'autant que plus je vieillis, moins je suis photogénique, ce qui est diablement embêtant pour quelqu'un qui devient auteur à mon âge. Comme il a bien fallu que je propose une zone de mon corps un peu plus présentable, me voici de trois quart. Alors je secoue mes cheveux pour les faire tomber sur mes yeux, mais ma frange est trop courte. C'est assommant, des cheveux qui ne poussent pas. Comment vous est venu l'écriture?
Poser des questions est très indiscret, mais y répondre l'est encore plus. C'est un aphorisme d'Oscar Wilde, mais je ne lui dis pas. Aujourd'hui, en plus d'être agacée, je suis butée. Alors je me tais. J'ai envie de sortir. Il fait un temps splendide, il faudrait flâner, filer dans les jardins du Louvre, sentir je ne sais quoi de léger, faire un saut dans la librairie anglaise, puis aller prendre un chocolat chaud. Je ne sais pas. L'écriture est très indépendante, vous savez. Il devrait se renfrogner mais il est bien élevé, il sourit. On me dit qu'on peut faire les photos en studio. Je réponds très vite que non, puisqu'on est tous là. Au moins, ici, je peux être absorbée par les gens qui passent, par le garçon qui m'apporte mon verre, je peux même ne penser qu'au moelleux du fauteuil et prendre les airs que je veux. Quand avez-vous commencé à écrire? Ce doit être un mystère très grand, sans doute, pour demander à tous les auteurs qu'on a sous la main de le dissiper. Vers dix ans, j'ai écrit ce que je croyais être de la poésie. Puis pendant vingt-cinq ans, j'ai appris à écrire. Je suis lente, que voulez-vous, et l'écriture ne se brusque pas, en tous les cas, pas la mienne qui est libre comme l'air. Il ne semble pas étonné, nous buvons une gorgée, il poursuit, je réponds, parfois à côté, parfois en mentant. J'ai envie de partir à la mer, je calcule que je peux être en Normandie ce soir, je suis pensive, il se dit que ce sont des manies d'écrivain et me pardonne mes absences. Du coup, je lui pardonne ses questions et je prends même des poses catastrophiques pour le photographe qui en a vu d'autres mais que j'espère très doué. Deux heures plus tard, tout est terminé. Ils vont garder des choses, pas d'autres, c'est comme je veux. Je fais oui, oui, et, enfin, je souris vraiment: je vais partir pour New York, il me faut un océan entre moi et tout cela, et une langue qui rend les réponses aux questions insistantes beaucoup moins compliquées.

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