Magazine Journal intime

Conte minuscule

Publié le 19 février 2009 par Lephauste

Mon père tenait une boutique dont les réserves étaient désertes, les rayonnages tristement nus, les vitrines vouées à la dentelle des araignées et le tiroir-caisse désespérément ouvert à toutes les suggestions. Les affaires allaient bon train car à vendre du courant d'air on ne peine pas trop à fidéliser la clientèle. Pour preuve, le grelot de la porte d'entrée tintait tant et tant que mon père s'était résolu à se fournir d'un bon stock de boules Quiès TM. Ce qui faisait que quand le chaland, la ménagère, le moutard, le hasardeux venaient à le visiter, afin de s'enquérir des dernières nouveautés, mon père soupirait profondément et abandonnait à regrets ses aquarelles, son herbier et s'accrochait aux lèvres son plus beau sourire d'épicier de détails.

Ma mère s'occupait, elle, à épousseter délicatement les étagères, les présentoirs, les tourniquets, les bocaux à courants d'air et éfaçait avec dextérité toutes les empreintes, les traces de doigts que les nécéssités laissaient sur le comptoir. La faim fait les mains moites. Nous étions une maison de traditions. Moi, je tenais la porte et parfois, solitaire, me secouais un peu le grelot.

- A combien faites vous le CDD ? Demandait le saisonnier, le regard un peu affolé quand sur son Vélib passait une hirondelle, le tonfa battant la selle.

- Oficiellement je ne le fais pas ! Répondait mon père. Avez-vous des papiers ?

- Des papiers ? Et l'autre d'exhiber la photo déchirée d'une nombreuse progéniture, une lettre d'amour, l'enveloppe déchirée, seul vestige du sang versé pour échouer au plus fort de la nuit saline sur les côtes lointaines que mon père aimait à imaginer, une brosse fine à la main et les pastilles d'aquarelle détrempées à portée.

-Oui, je vois, pas de papiers. Et reluquait l'enveloppe que l'autre, incrédule finissait par lui tendre en tremblant de ce qu'il n'avait rien boulotté depuis la veille au soir. Tenez ! Mon père empochait l'enveloppe dont les bords comme on dit se touchaient les flancs et en échange tendait à Moussa (appelons-le ainsi, ce prénom porte un rêve.), une carte d'identité toute neuve et un certificat de travail tamponné, comme un vrai, par le ministère de l'immigration joyeuse. Depuis que monsieur Besson avait repris à Brice ce joujou délicat, l'immigration était devenue joyeuse !

Mon père tenait une boutique dont les réserves étaient désertes, les rayonnages tristement nus et sur l'enseigne, qu'il avait lui même peinte, il avait écrit :

A la République - Papiers sur mesures !


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