Magazine Nouvelles

La complainte de l’ascenseur

Publié le 20 février 2009 par Unepageparjour

Début de Kira B. Wassa

La complainte de l’ascenseur me réveille. B. ? L’esprit embué, le corps douloureux, meurtri, je me lève avec difficulté. Un bruit curieux m’attire, m’interpelle. Je pose mon oreille sur le bois vernis de la porte d’entrée. J’entends comme le feulement des chiens de rue, quand ils copulent, leurs cris rauques, désagréables. Pourquoi des chiens, ici, au creux de la nuit, sur le palier d’un appartement parisien chic ? Mes yeux me piquent encore. Je me frotte les paupières, je baille, je m’étire mollement, mais les cris étouffés perdurent, pitoyables.

Alors, rajustant ma chemise de nuit, j’entrouvre la porte. L’ombre du palier noie mon regard, d’abord.

Puis je les vois, dans l’interstice lumineux que distille la lampe de l’entrée.

Lui, B., par terre, vautré sur une fille à demie nue, les jambes écartées, les bras en croix. Ils m’aperçoivent, essayent de se relever, de rajuster leurs vêtements ouverts.

Mais il est trop tard. Je frappe. A coup de pied, avec toute ma violence possible, je vise les têtes, les poitrines, les bas ventres, je frappe encore et encore et encore, à en perdre haleine. La fille tente de se relever, mais mon coude, plus rapide, s’abat sur sa tempe. Et pendant qu’elle s’effondre comme une étoffe, mes genoux s’acharnent sur B., j’éclate son nez, son menton, ses arcades sourcilières, mes poings cognent ses yeux. Je marche sur la fille, sur son ventre, sur ses seins.

Ils crient, ils supplient, ils pleurent, mais je suis sans pitié, je n’écoute que ma rage, ma fureur, mon envie de les détruire, de les anéantir, de les broyer de mes mains, de mes pieds, de tout mon corps. Je suis une furie.

L’ascenseur s’ouvre. Avec peine, ils rampent jusqu’à lui, se soutenant l’un l’autre, rouges, écarlates, cramoisis, mêlant leur sang dans la fuite. Avant que la porte ne se referme sur eux, j’ai encore le temps d’asséner un dernier coup de talon sur une tête, claquant comme dans un ballon de football, un dernier choc, avant que l’ombre de la nuit n’inonde de nouveau le palier.

Mes larmes commencent à jaillir de moi, comme des vomissements, par spasmes douloureux, qui sortent du plus profond de mon ventre. J’ai mal partout, mais je ne ressens plus rien, je suis anesthésiée. Je cours jusqu’à la cuisine, je prends le plus grand couteau que je trouve et, poussée par mes propres hurlements, par ma rage, je crève les coussins de soie, les oreillers de satin, les édredons d’organsin, les plumes d’oie s’envolent, pauvres victimes innocentes, et je lacère les draps, je déchire à grand coup de lame les rideaux brodés, je perce les fauteuils et les chaises, je troue les canapés, je poignarde cent fois le sofa somptueux du salon. Tout n’est que désolance.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Unepageparjour Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines