Comme un vendredi

Elle s’est calée au fond du fauteuil, un livre fermé sur les genoux. Elle s’est installée comme si elle partait pour un très long voyage au fond du compartiment d’un train, le regard vague, tourné vers la fenêtre en laissant derrière elle ses souvenirs et tant de regrets. Elle n’aime pas le vendredi, elle n’a jamais et depuis de très longues années aimé le vendredi. Dans une heure, deux peut être, la voiture crissera sur le gravillon de l’allée, avant d’entendre la clé dans la serrure et le sempiternel “bonsoir Chérie!”. Alors pour le temps d’un weekend, elle redeviendra une épouse attentionnée ou servile. Elle n’aime pas son mari comme elle n’aime pas le vendredi… Elle se met en catalepsie. Elle cesse de respirer jusqu’au lundi…
Elle a toujours eu des amants, mariés le plus souvent. Le vendredi, elle les rend à leur épouse, à leurs enfants. Les hommes vivent mieux ces temps morts. Ils sont habiles à mener une double vie. Cela lui rappelle cette période trouble des sports d’hiver quand celui qu’elle appelera Dieter s’en allait pour revenir hâlé et plus séduisant encore. Elle ne partait jamais. Les finances de son ménage ne rendaient pas cette trève hivernale possible. Elle se sentait lésée et se couvrait d’auto bronzant pour ne pas perdre la face… Tiens, elle se souvient très bien, un 20 Février. Ce n’était pas l’année dernière mais presque vingt ans en arrière… Elle se revoit gauche lui rendant visite à l’arrière de son officine à son retour de Morzine. Il portait un sous pull blanc sur un pull bleu marine… Il était si bel homme. Comme elle s’était sentie ridicule dans un corsage mauve à pois blancs, détail vestimentaire insignifiant mais pour elle si marquant…
Son amant du moment n’est pas marié. Peut être pourrait elle s’en réjouir. Mais, c’est pire, il est libre comme le vent. Alors, ce soir, comme tous les vendredis, quand sur MSN, elle a vu passer son profil hors ligne, tout en elle s’est mis à hurler vivement lundi.