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TRADUCTRICE LITTERAIRE, 2ème témoignage !

Publié le 23 février 2009 par Geybuss

TRADUCTRICE LITTERAIRE, 2ème témoignage !
TRADUCTRICE LITTERAIRE, 2ème témoignage !
 Voici un deuxième témoignage sur le métier de traducteur littéraire. Vous me direz encore ?! Et bien oui ! Celui ci évoque des aspects du métiers non évoqués lors du précédent billet, ce qui prouve qu'il est très difficile de résumer une profession en quelques  lignes et chacun à sa façon de la vivre, de la ressentir.
Cette fois ci, c'est Laure Hinckel, traductrice Française de littérature roumaine qui s'est appliquée à nous expliquer avec une pointe d'humour, par un très beau et sincère témoignage,  son quotidien, son rapport avec les oeuvres et leurs auteurs, sa façon de travailler. Laure est aussi blogueuse bien entendu, c'est d'ailleurs à travers la blogosphère que le contact s'est  noué entre nous deux. Vous retrouverez donc l'univers de Laure Hinckel sur son blog !
   TRADUCTRICE LITTERAIRE, 2ème témoignage !
 

« Chère Géraldine,

Je vous écris de l’Entre-deux de la traduction, ce pays imaginaire où tout est possible, où les mots surgissent sous mes yeux en trois dimensions avant de trouver leur place sur l’écran. Vous me demandez de laisser un peu le livre que je tiens dans le cocon de ce monde imaginaire et de vous raconter quelques petites choses sur mon métier. Je le fais volontiers, et j’espère que vous trouverez dans cette missive matière à nourrir votre curiosité et celle de vos lecteurs.

Je suis traductrice littéraire, et c’est un challenge, que de parler d’un métier aussi souvent incompris.

Je passe sur le regard frappé de stupeur et vaguement soupçonneux des secrétaires de cantine scolaire, quand elles survolent la fiche de renseignement et concluent par un « mais vous travaillez ou pas, finalement ? ». C’est en revanche avec une étincelle d’amusement que j’observe les grands yeux ronds des voisins –il y en a toujours un dehors à garer sa voiture ou à sortir ses poubelles- quand ils me voient fermer à clé la porte de devant, chaussée chapeautée, pour rentrer aussitôt par la porte de derrière ! C’est que j’ai la chance d’écrire mes traductions dans une petite pièce réquisitionnée pour moi tout seule : une condition que j’estime indispensable à la concentration que nécessite ce métier ! Mais le pompon, c’est la phrase assassine prononcée dans un très joli sourire : « mais les enfants sont grands, tu reprends quand ? » Tous ceux et toutes celles qui travaillent à domicile et, c’est bien connu, se reposent au lieu de bosser - comprendront…

Je découvre les ouvrages que je traduis (une dizaine à ce jour, en 5 ans) au fil des lectures successives. Il y a une première découverte du sujet, de l’histoire, du style, qui peut avoir lieu au moment de la proposition de l’éditeur ou bien, comme cela a souvent été le cas pour moi, à cet instant privilégié où j’éprouve à la fois un coup de cœur pour un livre et la conviction que les lecteurs français devraient avoir le droit de le découvrir eux aussi, dans leur langue. Bien souvent, cette rencontre a eu lieu en Roumanie dont j’écume les librairies et les étals des marchants de journaux – qui vendent aussi des livres. Souvent aussi, maintenant, je reçois par courrier des ouvrages qu’on m’envoie spontanément ou que je demande parce que j’ai lu une critique dans un journal littéraire roumain ou que j’en ai entendu parler….

Mais je dois dire aussi que je découvre le livre jusqu’au moment où je mets un point final à la traduction. Il faut faire preuve d’humilité : un grand roman est souvent un livre dont le premier traducteur n’épuisera pas toutes les ressources de sens. C’est la raison pour laquelle des œuvres particulièrement riches et touffues sont finalement retraduites, au bout de quelques décennies. C’est le cas de l’Ulysse de James Joyce, des romans de Dostoïevski – je cite ces deux cas parce que je m’y suis intéressée de près, en temps de lectrice lambda.

Puis il y a le commencement du travail en lui-même. On pourrait écrire des livres entiers sur ce travail minutieux mais passionné, long et dont, pourtant, on est toujours triste de se séparer. Je traduis exclusivement de la langue roumaine. Des romans ou des ouvrages de sciences humaines notamment. Mais j’ai commencé par traduire des articles de presse, des centaines d’articles, notamment pour l’excellent site « Le Courrier des Balkans » dont j’ai animé pendant un certain temps la section « Le Courrier de Roumanie ». Et mon premier métier, exercé pendant une quinzaine d’année, a été celui de journaliste – dont huit années en permanence en Roumanie, en tant que correspondante de plusieurs journaux et radios français et suisses. On peut dire que j’ai fait le grand écart en matière de format ! Je suis passée des reportages d’un maximum de trois pages de magazine aux ouvrages dont le plus long que j’aie traduit fait 600 pages ! Mais ces chiffres n’ont aucune importance, finalement. Je suis passée d’un métier à l’autre par le support commun, la langue roumaine, que j’ai tout de suite aimée et apprise pour exercer mon métier de reporter et comprendre la réalité qui m’entourait. Cette expérience de terrain de la Roumanie des années 90 m’aide énormément aujourd’hui dans mon travail de traductrice littéraire.

Concrètement, je travaille sur un ordinateur et je ne sais comment je pourrais me passer des ressources Internet. Quand il m’a fallu, par exemple, très récemment, trouver une référence de la littérature védique. Ou bien lorsqu’il s’agit de dépister l’origine d’un néologisme de l’auteur, pour le déconstruire en roumain et le reconstruire en français, il est bien utile d’avoir accès à plusieurs bases de données des racines grecques et latines. On ne peut pas avoir à portée de main absolument tous les livres dont on aurait besoin. J’en ai déjà une belle quantité, indispensables. Mais avec Internet, je gagne du temps, bien entendu.

J’essaie de me conformer à un rythme de travail proche de celui des horaires scolaires. Et je regarde très rarement la télévision, car en général, je travaille aussi le soir après le dîner (y compris pour mon blog ;)) Je prends pas mal de notes. Cela m’aide à m’y retrouver, et j’alimente mon blog avec quelques unes d’entre elles, que je trouve accessibles et intéressantes pour la majorité des lecteurs. Ecrire une traduction m’a toujours conduite, jusqu’à présent, à lire un ou plusieurs livres autour : soit pour y trouver les références du texte que je suis en train de traduire, soit parce que les univers romanesques sont proches ou se répondent.

Ce qui est également très enrichissant,  vous vous en doutez, ce sont les contacts avec l’auteur du livre –quand il s’agit d’un contemporain, vu que je ne fais pas encore tourner les tables !

Au téléphone, par mail ou de visu, quand on a la chance de pouvoir se retrouver pour discuter des derniers ajustements (encore une métaphore facile : il faut que la traduction soit comme un vêtement bien coupé, qu’elle tombe bien, sans faux pli), les échanges avec l’auteur peuvent être nombreux : une référence obscure, un mot qui prête à confusion, une blague que l’on doit transposer en français et qu’il vaut mieux vérifier avec l’auteur pour être certain de ne pas dénaturer sa pensée…

Et puis il y a la remise à l’éditeur, les éventuelles nouvelles demandes d’éclaircissement et notes de bas de pages, les épreuves à corriger. Le livre peut ensuite reprendre sa vie commencée en Roumanie, après avoir mué dans ma tête, au bout de mes doigts et dans la mémoire de mon ordinateur. 


Laure Hinckel »
  

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