Magazine Journal intime

Le “terrorisme” scolaire

Publié le 25 février 2009 par Blogueusecornue

L’intimidation. Le sujet de l’heure. Et pourtant une forme de violence qui remonte aux temps de Mathusalem.

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On ne m’a jamais battue ou rouée de coups à l’école. On ne m’a jamais attendue à la fin des classes pour me soutirer de l’argent sous la menace d’un canif. Faut dire qu’au secondaire, je fréquentais  une école bien, moi. Un milieu soi-disant “correct”: une école internationale, une institution de bollés en uniformes. Et c’est bien connu, des bollés, ça ne se tape pas dessus.

Toutefois, dans ces écoles d’élèves talentueux, certains manient les armes psychologiques avec une rare méchanceté.  Dans mon cas, plutôt qu’être victime de taloches, j’ai plutôt subi quatre années de harcèlement psychologique. Une forme de violence insidieuse et souvent invisible aux yeux des gens qui nous entourent. Peu en sont vraiment conscients et personne ne la dénonce vraiment.  Ou à peine. Ou si peu.

Lorsque j’étais adolescente, toutes les raisons semblaient propices à la moquerie. J’avais de très bonnes notes, j’étais studieuse, tranquille,  gentille (voire un peu bonasse) et je n’avais absolument pas confiance en moi. Zéro. Nada. Niet. Pas la moindre once d’estime personnelle. On tournait au ridicule le fait que je sois malentendante, que je porte des appareils auditifs et que je prononce moins aisément certaines sonorités. On se raillait de mon physique: j’étais moche, boutonneuse, sans être grosse j’avais certainement quelques kilos en trop, un nez proéminent, des mollets de nageuse allemande, une poitrine fort peu féminine, une pilosité plus prononcée que la moyenne.  On me débitait un tas de grossièretés étant donné que je provenais d’une famille religieuse et que je me rendais à l’église tous les week-ends, parce que je n’avais pas de père, que je n’étais pas sportive mais que j’excellais plutôt dans les concours d’écriture, que je m’entendais bien avec certains profs (chouchou!), que ma mère me laissait rarement accompagner mes  quelques camarades à la sortie des classes ou les jours de congé, que je n’écoutais pas tel ou tel groupe musical en vogue, que je n’arborais pas la coupe de cheveux dernier cri, que je parlais mal anglais, qu’à la cafétéria,  je préférais les aliments santé au fast-food, que je m’impliquais dans des activités artistiques mais presque jamais dans les activités sociales, parce que durant les vacances d’été j’étais plus encline à correspondre avec des jeunes de partout autour du globe plutôt que me balader à vélo, que mon sac d’école n’était pas aussi à la mode que la bande la plus populaire du bahut, et tutti quanti. On a versé du jus dans mon repas le midi, on m’a lancé des trucs gluants dans les cheveux, on a fait circuler des rumeurs blessantes à mon sujet, on m’a volé certains effets scolaires, on a gribouillé dans mon agenda, on a projeté mon sac l’autre côté d’une clôture impossible à franchir. Bref, je n’étais évidemment pas cool. Pas cool du tout.  Tout ceci n’était pas que simple taquinerie.

Je les ai toutes entendues, les moqueries. Certains profs en ont été témoins et n’ont jamais levé le petit doigt. Je me suis déjà écroulée en pleurs en pleine classe et l’enseignante, totalement dépassée, n’a pas su quoi faire. Et, lorsque je tentais de répliquer à ces nigauds, ils me ridiculisaient doublement.  Alors à quoi bon me défendre, hein? Je n’étais pas de taille à affronter toute cette médisance, toute cette cruauté adolescente.

Un jour, cependant, j’ai pété une coche. C’était vers la fin de mes années de disgrâce. J’ai solidement tabassé une fille dans le bus, après qu’elle se soit moquée ouvertement de ma soeur et de moi, et qu’elle ait tenté de dérober mon porte-monnaie sous l’oeil railleur des autres jeunes. Mon geste a eu l’effet d’une bombe et la vilaine étudiante s’est ensuite mise à raser les murs lorsqu’elle me croisait dans un corridor. Je croyais qu’à mon retour en classe le lundi, je serais suspendue. J’appréhendais avec mortification le moment où le directeur allait surgir et m’enjoindre de le suivre dans son bureau. Mais la journée a passé et rien de tout cela ne s’est produit. Par la suite, j’ai cru savoir que ladite scélérate avait commencé à manifester une gentillesse hors du commun envers ma soeur. Certains m’ont félicité pour mon “courage”, car cette grosse tête semait sournoisement la terreur par le biais de ses cruelles intentions. Je ne crois pas, cependant, que répondre à la violence par la violence ait été la meilleure des solutions. J’ai eu longtemps honte des gestes posés ce fameux jour de décembre.

Vers la fin du secondaire, ma riposte à toute cette merde a été, plutôt que d’accepter de cadrer dans cet environnement malsain et faire comme tout le monde, de ressortir encore plus du lot. Looks extravagants et couleurs capillaires farfelues. Au moins, tous ces mauvais plaisantins auraient de la chair à gruger sur l’os.

J’ai commencé à croire que les gens, foncièrement méchants, ne méritaient pas ma confiance.

J’ai décidé de rejeter avant d’être rejetée.

J’ai choisi de n’avoir que très peu d’amis pour éviter de jouer constamment à la victime, à celle qui culpabilise constamment même quand elle n’est pas fautive, à cet objet utilitaire que l’on envoie paître après avoir soutiré le  maximum de bénéfices.

J’ai résolu de faire semblant que rien de tout cela ne m’avait jamais vraiment touchée. J’ai mis une croix sur ce passé.

J’en conviens, ce sont probablement toutes de fort mauvaises décisions. Et il s’agit probablement de la raison pour laquelle je suis telle que je suis aujourd’hui. Barricadée dans ma bulle. Pas hyper sociable. Peu à mon aise entourée de visages inconnus. Que j’ai toujours l’impression d’être jugée. Que je n’accepte plus la critique. Que la paranoïa s’empare souvent de mon esprit. Et que oui, parfois, j’ai tendance à “avoir l’air” froide, à avoir l’air seulement, sans l’être réellement, à me forger une carapace qui empêche les autres de m’approcher. Car moins on m’aborde, moins on me tourmente, l’équation va de soi.

Comment remédier à la situation, comment faire en sorte que des victimes d’abus physique ou d’intimidation psychologique mettent fin à leur fardeau et cesse d’évoluer encore et toujours dans le même pattern ostracisant? Je ne détient malheureusement pas la réponse. Pas plus que je crois que l’on puisse avoir une quelquconque influence positive sur le comportement des “méchants” de l’histoire. Des imbéciles, il y en aura toujours. Et des gros bras, des petits caniches qui aboient fort,  des manipulateurs aussi. Il faut croire que la société a besoin de cons pour évoluer, sans quoi la roue tournerait moins bien… Peut-être faudrait-il fournir aux jeunes, et ce dès le plus jeune âge, des outils leur permettant de développer une saine confiance en eux et leur apprenant à  ne pas se laisser marcher sur les pieds. Je vois déjà une amorce de cette manière de penser à la garderie où je travaille. Certaines éducatrices montrent aux enfants à se défendre verbalement lorsqu’une situation leur semble injuste. Mais dans l’immédiat, ni à long terme d’ailleurs, aucune des solutions envisagées par le gouvernement, les commissions scolaires ou autres instances sociales ne viendront enrayer ce fléau.

Et, pendant ce temps, des jeunes disparaissent, se suicident, dépriment.

Ou pas.

Ou demeurent simplement meurtris à jamais, comme tous ces témoignages qui pullulent ces jours-ci dans la blogosphère: elle, lui, lui, elle, lui, elle, lui, elle et sûrement quantités d’autres blogueurs.

Si un jour j’ai des enfants, vous ne m’en voudrez pas de ne pas les blâmer s’ils câlissent un poing sur la gueule de ceux qui oseront les intimider. Parce que, bien que la violence engendre la violence, il y a DÉFINITIVEMENT des claques qui se perdent.


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