Magazine Humeur

Copains d’avant, copains d’après ?

Publié le 08 mars 2009 par Dalyna

Photo par Dalyna, RER C, avril 2007

Photo par Dalyna, RER C, juin 2006

On s’en doutait,  « l’ascenseur social est bloqué au sous-sol et pue la pisse » (Jamel Debbouze, spectacle Jamel 100% Debbouze). Mais en se rendant sur le site de Copains d’Avant, on en a la confirmation.

Comme beaucoup, je suis inscrite sur ce site qui permet de retrouver ses anciens camarades de primaire, collège, lycée et autres. J’en ai retrouvé plein, avec qui nous échangeons régulièrement des demandes d’amis sans vraiment rentrer en contact à nouveau. La plupart du temps, les personnes que l’on souhaite réellement retrouver n’y figurent pas, et pour les autres, Copains d’Avant est surtout un outil qui permet de satisfaire notre curiosité primaire. Alors, quelle tête maintenant ? Marié ? Enfant ? Boulot ? J’avoue m’y balader souvent rien que pour ça.

L’autre jour, alors que j’étais en mode big brother sur Copains d’avant, je commence à remarquer une tendance qui se dégage de l’évolution de tous ces profils. J’ai comme le sentiment que la majorité de mes copains d’avant ont tous le même parcours de vie.

Après cette constatation, je décidai donc de mener ma propre enquête statistique. Je vous rassure tout de suite, c’est une enquête qui m’a pris 30 minutes et qui n’a rien d’universitaire. Néanmoins, j’ai essayé de la faire en toute objectivité. J’ai donc établi des statistiques sur ce que sont devenus mes copains d’avant. Mais pour que ce soit plus drôle, j’ai voulu les mettre en relation avec d’autres résultats : ceux d’un fidèle lecteur de mon blog, le dénommé BaRT, qui a gentiment accepté de se prêter au jeu.

Mais vous me direz, pourquoi BaRT et pas Gertrude ? Et bien comme vous le savez, je viens d’une banlieue bien réputée pour son côté hardcore que nous appellerons Harlem pour ne pas la trahir. BaRT, de son côté, a la particularité de venir d’une banlieue également, mais… d’un tout autre type, que nous appellerons ici Wisteria Lane, (les férus de Desperate Housewives reconnaîtront, pour les autres, c’est ici). Voilà pourquoi il me semblait intéressant de comparer les chiffres de BaRT avec les miens.

BaRT

Wisteria Lane

Dalyna

Harlem

Vivant dans le même quartier

0%

29,4%

Vivant dans la même ville ou

département

17,6%

76,4%

Ayant quitté la région ou le pays

52,9%

5%

Etudes supérieures (bac+2 min.)

88,2%

47%

CSP

Cadres/

Libérals

CSP inf.*

Cadres/

Libérals

CSP inf.*

82,4%

17,6%

29,4%

70,6%

*CSP inférieures/Non-cadres

Deux petites précisions toutefois. Nous avons tout deux obtenu ces chiffres sur 17 amis de Copains d’avant. Pourquoi 17 ? Tout simplement parce que j’en avais 17 et BaRT a pris les 17 premières personnes arrivant dans ses recherches. C’est donc totalement le fruit du hasard, il n’y a pas eu de sélection sur les amis choisis. Autre chose, BaRT est plus âgé que moi de 9 ans, donc ce n’est pas exactement la même génération. Mais en tentant de le refaire avec un autre membre de sa famille plus proche de mon âge, nous obtenons les mêmes chiffres. Ce qui signifie que les choses ne s’améliorent pas avec les années.

Maintenant, que dire à part que ces chiffres sont effrayants. J’avais envie de montrer à quel point la naissance détermine quasiment tout dans la vie. A l’heure où l’on nous brandit partout la fameuse méritocratie, la « Dati l’ambitieuse » présentée comme modèle de réussite, ça me fait rire (jaune) de voir tous ces parcours qui, de mon côté, se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Qu’est-ce que cela signifie ? Que 70 % des jeunes de Harlem n’ont pas d’ambition ? Ou un cerveau plus petit alors, qui justifierait le fait que 2 fois moins d’enfants d’Harlem font des études en comparaison à ceux de Wisteria Lane ?

La vérité, tout le monde la connaît, mais je trouve qu’on ne la dénonce pas assez. Sans doute parce qu’il y a une part de la population, celle qui est née du bon côté de la barrière souvent, qui s’en contrefiche de ces chiffres. Le facteur déterminant dans le parcours de vie de quelqu’un reste sa naissance et le portefeuille de ses parents. Si cela n’a l’air de rien, plus de 200 ans après l’abolition des privilèges, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (remixée récemment par Dati), je trouve scandaleux que l’égalité brandie fièrement par la France, ne soit en fait qu’une égalité de façade. En réalité, c’est plutôt « Dis moi qui sont tes parents, je te dirais qui tu seras ». Quand on voit que 82.4 % des enfants de Wisteria Lane finissent cadres comme leurs parents, quand ceux de Harlem sont, à l’inverse, non-cadres pour 70 % d’entre eux, cela nous montre bien que le « mérite », « la volonté » et toutes ces qualités que les sarkozistes (entre autres) se plaisent à mettre en avant pour mieux taire les inégalités, ne pèsent, au final, pas lourd dans le parcours d’un individu.

Alors fort heureusement, il y a des variantes. Certains s’en sortent mieux que d’autres : la vie, l’éducation, la chance… autant de facteurs qui entrent également en ligne de compte. Mais ce qui m’inquiète, c’est cette orientation générale, qui se perpétue de générations en générations, sans que rien ne soit fait pour changer les choses. Dans ces stats, je me suis intéressée aussi à la mobilité des individus, parce que nous avons constaté avec BaRT que la majorité de ses amis, qui au départ étaient déjà plutôt bien lotis, ont une situation sociale ascendante. Ils quittent la banlieue pour Paris, ou bien vers des quartiers plus cotés, ou d’autres pays. De mon côté, 29.4 % de mes anciens amis vivent dans le même quartier, et 76 % dans la même ville ou département. Cela montre que de ce côté-là, c’est plutôt la stagnation qui prédomine. Donc, soit on naît aisé et on s’enrichit au cours de sa vie, soit on naît modeste et le demeure toute sa vie.

Alors, il est vrai que cela fait des lustres qu’on sait tout ça et on n’a pas besoin de Copains d’avant pour en avoir la certitude. Mais même si nous sommes au courant, en parallèle, d’autres œuvrent à plein temps pour démentir cette réalité. Exemple, un Sarkozy qui nous brandit Rachida Dati ou Rama Yade comme pour dire aux autres jeunes issus de la diversité et autres jeunes des milieux populaires, que c’est possible de partir de rien et d’arriver tout en haut. En d’autres termes, si les autres n’y arrivent pas, c’est de leur faute et pas celle de l’Etat. Ils doivent manquer de « volonté » et de « persévérance ».  Or, ces chiffres nous montrent bien que c’est faux. Nous avons d’un côté une Education Nationale présentée comme vecteur d’égalité des chances, et de l’autre, des enfants dont le destin se joue dès leur naissance. Elle est là, la réalité de ce pays.

Pour les lecteurs fidèles de ce blog, vous constaterez qu’une fois de plus, l’un de mes articles aborde la question des inégalités sociales. Autant le dire, c’est l’une de mes plus grandes révoltes, et je ne cesserai jamais de m’insurger contre ce système qui les favorise. J’ai un parcours particulier, qui m’a fait intégrer différents milieux, et qui m’a confrontée très tôt à beaucoup d’injustices. Depuis, je n’ai eu de cesse de leur cracher dessus. Pas pour moi, car si cela laisse forcément des traces, elles ne m’ont pas empêché d’aller là où je le souhaitais. La chance, un peu de persévérance, beaucoup d’éducation, des choix, des hasards de la vie. Plein de choses que d’autres ne rencontreront peut-être jamais. Et c’est justement pour eux que je gueule. C’est pour eux que ça fait mal. Et aussi pour la France. Pour les hommes et les femmes qui, il y a 200 ans, ont payé de leur vie pour lutter contre ce foutu système de castes. Que de potentiel, que de gâchis.

Jusqu’à quand ?


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