Magazine Journal intime

La nuit nous appartient

Publié le 15 mars 2009 par Audine
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Louis et moi, on est du même village. On s’est toujours connus. Bien avant qu’il ne s’appelle Luis. Luis, c’était pour faire plus espagnol, ça allait bien avec son physique.

Il a travaillé aux vignes avec ses parents, ils géraient la coopérative aussi.

Après il en a eu marre. Ils ont vendu quelques vignes, et avec l’argent, il a acheté un bar en bordure du centre ville. Au début, ça ne payait pas de mine, puis avec l’aménagement du Lez et les constructions, l’endroit est devenu de plus en plus à la mode.

La fac s’est installée pas loin et ça a été l’Eldorado.

Il m’avait demandé de le rejoindre, et comme je végétais dans un poste de secrétariat à la Coopérative, je n’ai fait ni une ni deux.

On peut reprocher beaucoup de choses à Louis, mais pas d’être infidèle. Jamais il n’oublie les copains du village.

Nous avons transformé le bar en bar de nuit.

Sur le centre ville, nous sommes le seul bar à faire le before. Les étudiants viennent se mettre la tête avant d’aller en boite.

On a eu une histoire Louis et moi.

On pourra dire tout ce qu’on veut, mais pas nous retirer ça.

Avec Louis, on faisait des virées à Barcelone ou même à Lisbonne. C’est là bas que l’on trouve les vrais lieux de fête.

On a rapporté des recettes de cocktails, même si on était limités par l’interdiction de l’absinthe en France.

De temps en temps, Louis en rentrait pour des soirées privées.

On fait des shooters. Des verres d’alcools enflammés, qu’il faut boire d’un trait à la paille pour commencer par la couche du dessous. Des El 666, des BlowJob, des B 52’s, des Kamikaze Blue. Avec l’absinthe, on fait des Dragon Ball Z GT. On y ajoutait de la vodka mais aussi du Goldschlager. C’est une liqueur du type schnapp, avec de la cannelle et des flocons d’or dedans. On peut chauffer au micro ondes mais nos barmaids le font au chalumeau, ça fait plus d’effets. Une fois le verre chaud, il faut mettre dans la bouche la moitié du verre et faire un bain de bouche de 15 secondes, puis avaler ainsi que le reste du verre et après avoir recouvert le verre vide avec la main, il faut aspirer les vapeurs d’alcool.

Après t’as plus qu’à t’asseoir, ou danser.

On a fait valser les Cauchemars de Dracula, les Chiens Fous, les Cervelles de Singe.

On met le feu au bar.

On aligne les verres sur le comptoir, et on les allume.

C’était une période dorée, vraiment.

Le cash coulait comme l’alcool.

Ca a duré trois, quatre ans. Je m’occupais des relations publiques et de l’équipe.

Louis a appelé le bar le Houla Oula Oops. Comme ça, ça faisait H2O. Il a toujours bien aimé les jeux de mots.

En fait, au fur et à mesure, le nom d’origine a été oublié, et tout le monde dit H2O depuis belle lurette.

On a aménagé les locaux. On a fait une entrée comme une boite, avec un vestiaire et la caisse.

Au dessus du guichet, Louis a mis un poster de la Joconde, celle avec des moustaches et les lettres, L.H.O.O.Q. Il était content de montrer sa culture aux étudiants.

Tu passes un rideau rouge et après, il y a la salle avec le bar au fond. Quand l’ambiance est bien chaude, on met la musique et l’équipe fait l’animation.

Je recrute mais c’est Louis qui donne le feu vert final. Il décide des noms aussi.

Il ne veut pas de barmaid qui s’appelle Laurent ou Benoit.

Alors on a Christoo, Libee, Cooper, Gordon, Hash ou J-Go.

Je finis par ne plus savoir qui vient d’où ou même les prénoms d’origine.

Mais ça n’a pas d’importance, l’équipe s’éclate et c’est le principal.

Toujours des jeunes motivés.

Vers 2004, à Barcelone, on a rencontré Conrad Chase.

C’est un patron du Baja Beach Club, une copie de celui de Floride.

Il s’était fait implanté une puce sous la peau de l’avant bras.

C’est une de ces puces qui font partie des technologies RFID, Radio Frency Identification Devices.

Conrad avait réuni plusieurs de ses meilleurs clients et nous. Il paradait devant nous, comme s’il s’était fait tatouer tout le corps la semaine d’avant.

Il expliquait que la puce, qui s’appelle Verichip est commercialisée par Angel Digital Solution, qu’elle ne présente aucun danger.

Son but était de convaincre quelques VIP de s’implanter aussi cette puce.

L’avantage, c’est qu’à l’entrée, il suffit de présenter l’avant bras au scanner et le prix de l’entrée et des consommations est débité du compte du client, plus besoin de carte bancaire, de pièce d’identité ni rien.

Conrad vendait 125 euros sa proposition et promettait aux premiers convaincus de créditer leur compte de 100 euros.

Ses clients n’étaient pas hyper enthousiasmés.

Certains avaient peur que la puce ne casse et que le lithium que la pile contient se répande dans leur corps, d’autres que la puce se balade et qu’elle soit très dure à retrouver ou à retirer.

Ils se sont demandé s’ils pouvaient se baigner sans problème, s’ils pouvaient passer à l’aéroport sans déclencher des alertes bizarres, s’il était possible de les localiser par satellite.

Il y a eu une discussion animée, et Conrad a été très persuasif.

Il a expliqué que l’introduction de puce se faisait depuis des années, pour le bétail ou le traçage des animaux sauvages, ou pour servir de clé électronique. Que la ville de Mexico a implanté 170 puces sur des officiers de police pour les cas de kidnapping.

Je n’ai pas voulu.

Déjà l’idée d’un stérilet, je n’arrive pas, alors proposer aux clients la pose d’une puce par seringue hypodermique sous anesthésie locale, non.

J’ai eu une discussion houleuse avec Louis.

Il me disait « mais ils se font tous des piercings ! ».

Il n’a pas imposé la décision.

Puis Louis a traversé une mauvaise période.

Il n’était pas très bien.

Nous avions monté un deuxième bar sur Lyon et je m’en occupais beaucoup, ça m’éloignait de lui qui filait un mauvais coton.

Il a voulu monter un restaurant plus embourgeoisé, sur Lyon, qu’il a appelé « Chez Louhiss ».

Mais ça n’a pas du tout marché.

C’est à cette époque qu’est arrivée Marion.

Marion est très blonde et à la peau claire, Louis lui a demandé de prendre comme prénom Majna, pour faire suédois.

Je ne sais pas s’ils ont eu une liaison, je pense que oui.

Toujours est il que Majna a eu un enfant, on ne sait pas de qui.

Un gars qui a pris de la poudre d’escapade.

Samedi soir, on fêtait les dix ans du H2O.

La soirée avait bien tourné et on était épuisés tous.

L’équipe s’était défoncée et Cooper avait fait une démonstration de cracheur de feu.

Un peu avant deux heures, on a rangé et passé un coup de balai et avec Majna, je me suis assise au bar et on a pris un Perrier frais.

On a vu passer un cafard, régulièrement, on est infestés.

Je l’ai mis sous un verre pour le faire brûler.

On fait ça souvent, c’est un jeu, ça nous détend.

J’ai mis le verre avec le cafard dedans sur un tabouret et j’ai attrapé les bouteilles en verre rouge dans lesquelles on re conditionne de l’essence F, pour les animations avec le feu.

J’ai versé l’essence autour du verre.

J’ai retiré le verre et j’ai allumé l’essence avec un briquet.

Le cafard s’est enflammé.

Puis je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. Je regretterai toute ma vie.

J’ai repris la bouteille d’essence F, et j’en ai reversée sur le tabouret.

Une boule de feu s’est créée, j’ai senti mes cheveux qui prenaient feu, puis j’ai entendu Majna qui hurlait et hurlait, j’ai éteint mes cheveux avec les mains, et les cris de Majna me perçaient les tympans, elle était par terre, et Cooper qui était encore là l’a recouverte d’un tissu, puis on l’a emmenée au service des grands brûlés.

Elle a tout le coté gauche, le bras, le cou et le visage, brûlé au deuxième degré.

Ils vont lui faire des greffes de peau.

Je n’ose pas aller la voir.

Je ne sais pas ce qui m’a pris.

Je crois que je ne voulais pas que le cafard prenne de la poudre d’escapade.


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