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Pierre ne sait pas vraiment danser

Publié le 24 mars 2009 par Unepageparjour

Pierre ne sait pas vraiment danser. Il trimballe son grand corps rigide, par saccade, d’un bout à l’autre de la piste, en dehors du rythme, sautant quand il faudrait glisser, s’arrêtant net quand la musique reprend de plus belle, et soudain, il s’élance, comme un fou, emportant Natasha dans une série de virevoltes insensées, sans queues ni têtes, déclanchant l’hilarité de toute sa belle-famille, amassée comme des badauds, sifflant des « oh ! » et des « ha ! », mi-moqueurs, mi-étonnés. On applaudit, quand même ! Pierre, en sueur, s’effondre comme une masse sur une chaise, laissant aux autres le soin d’entraîner sa femme sur des airs guillerets. Il regarde, toujours souriant. Les cousins passent devant lui, certains s’arrêtent, discutent un peu, lâchent quelques mots, des phrases toutes faîtes, par politesse. Des cousines un peu éméchées, une rose rouge entre les dents, s’asseyent sur ses cuisses larges et dures, mimant une scène de déshabillage, puis se ravisent, sous les regards courroucés du beau-père. 

Natasha s’en donne à cœur joie. Elle danse, sans fin, comme une étoile filante dans un ciel d’été et, dans ses bras, la musique devient vivante, sensuelle, charnelle. Sa robe blanche coule sur le plancher avec une telle grâce, qu’elle hypnotise tous les regards. Peu à peu, les danseurs lui abandonnent la piste. Elle reste seule, unique, reine de sa nuit de noce. Pierre, ému sans doute, n’a toujours pas bougé de sa chaise. Il reste ainsi, jusqu’au petit matin pâle, bercé par les musiciens et les chorégraphies de son épouse. Les invités ont disparu, pour la plupart, fatigués, éreintés, ivres aussi.
Puis les violons se rangent dans leurs étuis, le piano se referme, les saxos se taisent. La musique s’est éteinte, sur un dernier soupir.

«  - Oh ! Déjà ? », s’étonne Natasha.

Un sourire frais posé sur les lèvres, le regard clair et amoureux, elle tend les mains vers Pierre, qui se lève avec peine, ankylosé, les os endoloris, les muscles contractés. Et ils s’en vont à leur tour, l’une légère, sautillante comme une jeune merlette irisée, joyeuse et pleine de vie, et l’autre, boitant bas, tel un pantin de bois désarticulé, dont le marionnettiste aurait perdu la moitié des ficelles.


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