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L’endroit, ombragé, loin de la foule

Publié le 28 mars 2009 par Unepageparjour

Pour lire le début de "Pierres et Natasha"

L’endroit, ombragé, loin de la foule, chante comme un havre de paix. De jeunes fougères, la tige en forme de crosse, poussent tranquilles, sous la protection d’un if centenaire, au tronc encastré sous les pierres dorés d’un vieux mur.

« - Regarde ! ».

Natasha, bien droite, solennelle, présente à Pierre la devanture riante d’une lingerie fine. Médusé, il aperçoit des nuisettes légères, suspendues comme des marionnettes par des fils invisibles, qui semblent danser avec des pyjamas de coton, couverts de lapins aux larges sourires et aux oreilles pointus, et des culottes, des slips, des strings de toutes les couleurs, épinglés au mur de la vitrine, comme autant de papillons exotiques, qui s’amusent comme des fous, dans un brouhaha multicolore. Quelques soutiens-gorge, généreux malgré leur air plus grave, s’affichent sur des modèles sans tête à la peau bleue. Plus loin, derrière la vitrine, il devine des recoins sombres, des cabines à demi dissimulées par des rideaux cramoisis, dans lesquelles les clientes peuvent essayer à loisir cette foule bigarrée de sous vêtements chatoyants.

Natasha est aux anges !  

«  - Viens ! Entre ! Tu vas me dire ce qui me va le mieux. Moi, j’aime beaucoup cet ensemble tout blanc, avec les grosses fraises. Juteuses à croquer. Ce serait marrant, non ? ».

Pierre fronce les sourcils. Il hoche la tête, regarde Natasha, la vitrine, le sac gonflé par la robe blanche. Un chuintement d’eau, quelque part, tinte dans le silence de la rue.

«  - Non, je ne sais pas, on va croire qu’on veut voler quelque chose, avec le sac.

« - N’importe quoi ! On le donne à la dame en entrant. Allez, viens ! ».

Il hésite, emprunté, les semelles engluées dans l’asphalte du trottoir, les os comme soudés, l’esprit buté sur son refus.

« Allez ! Fais-moi plaisir ! ».

Il refuse. Il esquisse un demi-tour, la tirant de l’autre côté. Natasha se dégage, presque fâchée. Quelques secondes s’écoulent, puis, d’un air décidé, elle pousse la porte vitrée de la boutique, déclenchant le murmure d’un carillon d’argent.

« Rendez-vous face à la mer ! », lui crie-t-elle, avant de disparaître dans l’atmosphère feutrée de la boutique, accueillie par une commerçante avenante et large, les bras grands ouverts, tout sourire.


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