Magazine Journal intime

Il faut être deux pour en arriver là

Publié le 08 avril 2009 par Orangemekanik

Hier c’était la Saint Valentin. J’ai vu sur BFM qu’ils avaient reproduit la photo de Doisneau avec des amoureux d’aujourd’hui. Et c’est drôle comme ça faisait pas du tout le même effet que sur le cliché original, avec des gens de la vraie vie. Ah l’amour ! Quel bonheur de partager un repas aux chandelles avec quelqu’un qui te dit plus que : « Chérie tu me passes le sel ». Ou : « chérie c’est quand que c’est prêt ? », comme si c’était normal que ce soit prêt un jour ! Ne pas finir seule ! Finir. Rien que le mot déjà, ça fait flipper. A la télé, y’a même des meufs qui croient vivre un beau conte de fée quand un mec leurs dit qu’il rêve de pousser un caddie à carrefour avec elles.
La dernière fois que j’ai fêté la Saint Valentin, moi, c’était en 2001. Avec mon mec on était allé au restau. Un restau pur luxe. Comme je les déteste. Avec le serveur qui te lâche pas. Trois verres. Deux couteaux. Bref la totale. Mais Bat était très romantique. Avec lui, même le mac do me paraissait glamour. En rentrant on devait prendre un bain. Avec plein de mousse. Plein de bougies. Et du champagne. Comme souvent. Mais comme souvent, le sort en avait décidé autrement. L’eau du bain s’était transformée en eau de boudin. En bain de sang. On s’était encore entretués, lui et moi. Et même si comme toujours on avait fini par s’endormir dans les bras l’un de l’autre dans des draps maculés de notre hémoglobine, on savait tous les deux qu’un jour, il y aurait un mort. Ce jour, c’était six mois plus tard. Ce jour où il m’a dit que ça se reproduirait plus. Et que je l’ai cru. Ce jour où quand il est parti, je l’ai pas retenu. Et que je l’ai jamais revu. C’était le 28 aout 2001.
Chaque soir, avec fifi, après son taf, on prenait la voiture et on allait battre la forêt. Bat adorait la forêt. Il y avait vécu. Y’a longtemps. Pour décrocher. Et c’est là qu’il voulait se pendre. Après avoir buté son père. C’est la première chose qu’il m’a dite. Quand on s’est rencontré. Un an auparavant. On a tout de suite parlé de nos pères respectifs. Et de la mort. Nos pères. Nos détracteurs. Le mien qu’il allait rejoindre. Sans plus de formalité. Quittant la vie de son plein gré. Le sien qu’il voulait amener avec lui dans cette mort qui nous fascinait tant. Tellement… qu’elle nous empêchait de vivre. Et qui allait nous séparer. Comme prévu. Parce que dès le début, on connaissait la fin. Et qu’on était allé au bout de la folie. Ensemble. Et qu’après la folie, y’avait plus que la mort. Pour que ça s’arrête. J’avais fini par le croire. Par croire qu’il me tuerait un jour. Et qu’enfin il verrait le mal qu’on se faisait. Mais je mourrai jamais en fin de compte. Tellement je voulais pas qu’on le malmène après. Que ça fasse comme pour Bertrand Cantat Avec les gens qui parlent, émettent des théories, tergiversent et s’acharnent. Sans vraiment savoir. Ça m’aurait énervée de pas pouvoir bouger, du Ciel. De ne pouvoir rien faire! De pas pouvoir leurs dire qu’il faut être deux pour en arriver là.
Entre nous la violence était mutuelle. C’était comme des pulsions infernales qu’on ne contrôlait pas. Comme des démons qui nous forçaient. Qui se battaient entre eux. C’est tout ce qu’on avait en commun. Comme moyen de défense. Lui et moi. Et ça nous rapprochait. Au moins on se comprenait. Ca nous prouvait qu’on était pareil. Qu’on avait mal pareil. Peur pareil. Et ça nous rassurait. Entre deux prises de tête, nous deux, c’était beau comme dans la grande littérature. On filait le parfait amour. Passionnel. Fusionnel. Charnel. C’était comme dans nos rêves. Comme dans les films. Fou.
Le 11 sept. C’est le jour où je suis allée chez les flics signaler sa disparition. Le jour où j’ai appris que j’étais enceinte. Deux jumeaux. Dans le commissariat, tout le monde était en effervescence. Je voyais bien qu’ils avaient d’autres priorités. J’étais bien la seule à pas savoir ce qui c’était passé : les tours jumelles. Tout ça. Tout ce que je savais, moi, c’est que ça faisait 15 jours que mon mec avait disparu. Et que j’avais deux bébés dans le ventre qui voulaient retrouver leur papa. Je sais pas pourquoi je me disais qu’en cherchant Ben Laden ils allaient retrouver Bat.
Le 9 octobre. C’est le jour où les flics m’ont appelée. Enfin la gendarmerie. Fallait que je passe à 15h. Dans ma tête c’était bon. Ils l’avaient retrouvé. J’ai mis ma plus belle robe. Celle qu’il m’avait offerte. La longue en lin blanc cassé avec des gros boutons sur les côtés. Fallait que je sois plus belle que jamais. J’ai pas tout de suite compris. Je pouvais pas comprendre. Je voulais pas. Surtout. Je crois. Les flics me montraient des objets. Sous plastique. Plein de trucs à lui. Une photo de nous deux. Que sa mère m’a donnée, par la suite. Au bout de deux heures d’interrogatoire, je leurs ai dit :
« Bon alors c’est quand que vous le faites entrer. J’ai hâte de le voir moi… »
Ils se sont regardés. Façon « Pff quel boulet ! » Je te jure la pauv’ meuf ! Je devais faire pitié !
Ils ont dit :
« Comment vous réagiriez si on vous disait qu’on a retrouvé son cadavre dans la forêt. »
Un petit huitième de seconde, j’ai eu peur d’avoir compris. Mais je me suis ressaisie. C’était sûrement une question comme une autre. J’ai souri. Ils se sont re-regardés. C’est là que j’ai compris. Compris que j’avais pas mal compris. Là qu’ils ont vu comment j’ai réagi. C’était la première fois qu’un gendarme me prenait dans ses bras. Alors que je venais de défoncer son bureau. La première fois qu’on m’amenait en HP. Et qu’ils voulaient pas me garder. La première fois que ma mère a pleuré quand je lui ai dit que je voulais crever. Le lendemain, c’était dans les journaux. Un chasseur. C’est lui qui l’avait retrouvé. En état de décomposition avancée. C’est un dentiste qu’a reconnu son corps. Enfin ses dents. Des soins effectués récemment. Tout juste ils avaient pas mis une photo à côté de l’article. C’est à ce moment là que mes bébés sont partis. Eux aussi. Tout seul. Et si je suis restée en vie, c’est pour pouvoir penser à lui. Et aussi pour Fifi. Fifi il m’a sortie de la rue. Je veux pas qu’il se dise “tout ça pour ça“. Ca fait quand même 16 ans qu’il me supporte !

scan155.1234743491.jpg

<><>é<><>é<><><é>é<><é>é<><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><êà><><><><><&><><><><><>é<><>é<><><é>é<><é>é<><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><êà><><><><><&><><><>


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Orangemekanik 7 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte